Description
« Arrêtons-nous tout d’abord devant l’un des uniques rescapés de toutes ces guerres : au n°46, un hôtel particulier dans le plus pur style Louis XV s’appuie sur un portail orné d’une coquille et se concluant par un balcon tout en rondeur. Quelques grands-pères grimpant cette même montée rêvent sans doute de ces jouets pour adultes qui, il y a maintenant plus d’un demi-siècle, sillonnaient sans cesse les rues : les tramways. Car Saint-Quentin, ville moderne, possédait ses tramways. Les premiers, avant la première guerre, étaient à air comprimé. Les suivants furent électriques, transportant les Saint-Quentinois d’un bout à l’autre de la ville, avec des arrêts réguliers aussi bien pour permettre aux passagers d’aller et venir qu’au contrôleur ou au chauffeur, selon les humeurs, de descendre afin d’actionner les aiguillages de ces petits trains des villes.
Le tramway parcourait vaillamment les rues de Saint-Quentin, patinant un peu les jours d’automne dans ses rails obstrués de feuilles mortes, et haletant beaucoup à la fin de la rue d’Isle. De tramway, il n’y en a plus ! A la place, fontaines, buis taillés et bancs s’offrent à vous pour des haltes contemplatives : la rue, comme la place du 8 Octobre, a bénéficié de quelques aménagements. L’eau y coule maintenant en cascade urbaine, rappelant que cette pente, géologiquement, est un flanc de vallée conduisant au lit du plus petit fleuve de France...
Traversons la rue : nous voilà devant le n°51, symbole d’après-guerre d’une volonté d’apaiser les âmes par les arts. La municipalité avait en effet décidé de se doter d’un conservatoire de musique : trois architectes se sont associés pour concevoir ce petit manifeste d’une architecture mêlant les principes des arts décoratifs à l’esthétique picarde. La façade du conservatoire, toute en hauteur, combine le vocabulaire esthétique des Années folles – briquetages savants et du ciment nu – à celui d’un gothique flamand. Sa façade se voit rythmée par un triptyque d’élégants bow-windows largement vitrés, isolant les classes des bruits de la rue en leur assurant, quelle que soit l’heure, d’être éclairées d’un flot de lumière.
Trêve de rêverie : reprenons notre chemin. A l’angle des rues d’Isle et de la Sous-Préfecture se trouvent les deux anciens grands magasins Secret-Frères. L’un d’entre eux est un petit cousin de la Samaritaine de Paris, avec sa charpente métallique, sa tourelle d’angle et ses vastes baies vitrées. Il annonce ses confrères situés un peu plus haut, entre la rue de la Sellerie, la rue de Lyon et la rue Saint-Jacques : les magasins Sigrand, Raoul, Lacroix, ou encore les Fabriques Françaises, la Maison Modèle ou les Nouvelles Galeries. Autant de palais, dédiés aux bonheurs des dames façon Zola, qui tirent les principes de l’Art déco vers les excès d’un style quasi byzantin. Les enseignes de ces temples du commerce ont souvent varié, mais leurs fresques, frises, sculptures, pilastres, cubes et coupoles demeurent pour notre plaisir. En outre, ce périmètre pullule de bâtisses déclinant les motifs des arts décoratifs : le regard ne se lasse pas d’admirer, au détour d’un balcon, d’un encadrement de fenêtre ou d’une entrée de porte ses bas-reliefs déclinant des thèmes géométriques. Arabesques, tiges et volutes contorsionnées, grille forgée surlignant une façade mêlant la blancheur de ses pans verticaux aux teintes ocres d’une brique souvent agencée de manière fort graphique, les architectes de Saint-Quentin ont su marier le moderne et l’ancien en un vocabulaire formel des plus élégants, proposant aux habitants une architecture aérienne et sereine. »
Extrait de « Le Piéton de Saint-Quentin » par Sam Bellet, Francis Normand et Jean-Luc A. d’Asciano
Il faut bien l’avouer, au fil des années, la rue d’Isle a progressivement perdu sa splendeur d’antan. Le tramway n’y circule effectivement plus, et les nombreuses boutiques qui faisaient de la rue d’Isle la principale rue commerçante de Saint-Quentin l’ont désertée. Toutefois, pour redynamiser la rue d’Isle et lui redonner vie, des projets sont en cours avec notamment l’implantation de bâtiments administratifs et d’autres services : galerie d’art, billetterie, et même le célèbre musée des Papillons prennent désormais place dans la rue d’Isle.