Selon la tradition populaire, la chapelle de Kerdévot fut élevée en remerciement de l'intervention de la Vierge, qui protégea la paroisse d'Ergué-Gabéric de la peste sévissant dans la paroisse voisine d'Elliant1,2. Cet épisode de la « peste d'Elliant » a suffisamment marqué les esprits de l'époque pour que sa légende vienne jusqu'à nous à travers plusieurs œuvres, telle La Peste d’Elliant présentée par Théodore Hersart de La Villemarqué dans son Barzaz Breiz1, ou celle rapportée par François-Marie Luzel dans ses Chants populaires de la Basse-Bretagne.
Ainsi, selon la légende, un meunier ramena la peste (matérialisée sous les traits d'une vieille mendiante) de la ville de Quimper en la paroisse d'Elliant, où elle tua presque tous les habitants. Alors que la peste allait atteindre Ergué-Gabéric, la Vierge apparut et l'arrêta au niveau du ruisseau marquant la limite des deux paroisses. Pour la remercier, un sanctuaire fut construit sur les terres du seigneur de Botbodern, à proximité du lieu du miracle. Cet acte a donné son nom à la chapelle, Kerdévot signifiant en breton le lieu des dévots1.
Sur le plan historique, il est établi que les décennies précédant la construction de la chapelle ont vu la résurgence régulière d'épidémies de peste, particulièrement en 13492.
Le nom de Kerdévot apparaît pour la première fois en 1439, dans le testament d'un ecclésiastique quimpérois3. La chapelle existait donc à cette époque, sans que l'on puisse savoir s'il s'agit du bâtiment actuel. Toutefois, certains éléments d'architecture de la chapelle permettent de la dater du xve siècle : la maîtresse-vitre du chœur porte la date de 14893,4, et le clocher comporte un médaillon représentant une hermine passante, symbole des ducs de Bretagne qui ont régné jusqu'en 1514, ainsi que deux blasons d'hermines sur les sablières de la nef. On sait par ailleurs que dans cette période consécutive à la désastreuse guerre de succession (1341-1364), les ducs faisaient des donations aux églises et chapelles locales5, comme Jean V pour Locronan en 1438. Cela a pu bénéficier aussi à Kerdévot et entraîner de nombreux autres dons3. Il est par exemple établi que les nobles locaux ont contribué à l'édification de la chapelle et à son embellissement, à l'instar de François Liziart, seigneur de Kergonan en Ergué-Gabéric, au xve siècle6 et des seigneurs de Tréanna en Elliant, ces derniers étant au service du duc pendant tout le xve siècle5. Une tiare papale est également figurée dans le chœur, ce qui peut indiquer une exonération de la paroisse de certaines charges pour accélérer les travaux5. La chapelle est inaugurée en 15567.
Les dons importants ont probablement permis à la fabrique d'acheter assez rapidement le magnifique retable flamand que l'on peut voir au-dessus du maître-autel3. Ce retable a été fabriqué par les ateliers d'Anvers et date des années 1480-14908. Il comporte six panneaux représentant les scènes de la vie de Marie. Quatre scènes sont d'origine et deux ont été ajoutées au xviiie siècle3.
La peste frappe régulièrement la région quimpéroise, notamment en 1533, 1565, 1586, 1595 et 1639. Chaque épidémie est l'occasion pour la fabrique de Kerdévot de recevoir des dons, par exemple les 33 écus offerts en 1598 par Yves Toullalan, chantre de la cathédrale de Quimper3. La richesse relative de la fabrique permet d'embellir et de compléter la chapelle. Ainsi un calvaire et une fontaine sont construits dans le courant du xvie siècle. Le mobilier de la chapelle est également complété à cette époque par l'achat de la statue dite Notre-Dame-de-Kerdévot et celle de Notre-Dame-de-l'Angoisse. Le retable flamand est quant à lui complété par deux panneaux supplémentaires3.
Le père Alexandre, qui effectue un tro Breiz, passe à Kerdévot vers 1669. Il décrit un pardon attirant une foule importante et une manifestation alliant les dévotions à la Vierge et la bonne chère de la foire9.
Le xviiie siècle commence par une catastrophe : une tempête abat le clocher le 2 février 1701. La fabrique le reconstruit rapidement. Une nouvelle cloche est achetée en 1704 et une nouvelle sacristie est construite en 1705 dans le style classique10.
À cette époque, la renommée de la chapelle est telle qu'au carême de 1712, des marins de l'escadre de Duguay-Trouin, tout juste rentrés d'une campagne au Brésil, viennent y faire leurs dévotions11. Le cantique de Kerdévot, composé peu après, rappelle cet évènement. Il s'agit d'un chant en moyen breton long de 56 couplets11. Il fait l'apologie de Notre-Dame de Kerdévot en rappelant ses légendes et ses miracles. Il se compose de la façon suivante :
Plan du cantique de Kerdévot11
Couplets |
Contenu |
1 à 5 |
Considérations sur les malheurs du temps |
6 à 9 |
Éloge de Kerdévot |
10 à 15 |
Légende du retable flamand |
16 à 20 |
Évocation de la peste d'Elliant |
21 à 29 |
Bienfaits de Notre-Dame de Kerdévot |
30 à 32 |
Le pèlerinage des marins de Duguay-Trouin |
33 à 50 |
Miracles à Kerdévot |
51 à 56 |
Les grandes heures de Kerdévot |
Vers la fin de l'Ancien Régime, la chapelle Notre-Dame de Kerdévot à Ergué-Gabéric (avec 1 450 livres de revenus annuels estimés), était la troisième de l'évêché de Cornouaille pour le montant de ses revenus constitués essentiellement par les offrandes des pèlerins, donc probablement le troisième pèlerinageNote 1 le plus fréquenté de l'évêché12.
Les richesses accumulées dans la chapelle suscitent la convoitise et attirent des bandes organisées qui dérobent des objets précieux. À tel point qu'en 1774 le Parlement de Bretagne ordonne qu'un sacristain dorme dans la chapelle pour éviter les vols10.
À partir de 1789, la Révolution française apporte des changements radicaux : la constitution civile du clergé est promulguée dès le 24 août 1790, ce qui impose au recteur d'Ergué-Gabéric et à ses vicaires de se soumettre à ce texte non approuvé par le Saint-Siège. Réfractaire, le recteur Alain Dumoulin est alors remplacé par un curé constitutionnel qui prend sa place au bourg d'Ergué. Dumoulin se réfugie à Kerdévot, avant de fuir finalement à Prague10.
Le 29 avril 1795, la chapelle de Kerdévot, bien national, est vendue aux enchères. Les paroissiens organisent le rachat de l'édifice par l'intermédiaire d'une souscription. Afin de contourner la loi qui interdit ce type de rachat, un prête-nom est choisi : Jérôme Crédou, par ailleurs futur maire d'Ergué-Gabéric. Celui-ci s'engage à céder gracieusement la chapelle à la commune, chose faite en 180413. La chapelle sera élevée en 1855 au rang d'église succursale de la paroisse d'Ergué-Gabéric par un décret impérial14.
Le xixe siècle voit la perpétuation des traditions de dévotion à Notre-Dame. Les pardons célébrés tout au long de l'année attirent les foules et les curieux, notamment le grand pardon du mois de septembre. Des artistes de passage à Kerdévot relatent ainsi la renommée du lieu et l'importance des cérémonies religieuses15 :
« En ce temps-là, Notre-Dame de Kerdévot jouissait d’une réputation et d’une vogue extraordinaires, à peu près comme celles dont jouit plus tard, à la Salette et à Lourdes, la Vierge de l’Immaculée Conception. Tous les enfants scrofuleux, les teigneux, tous les hommes et les femmes affligés de plaies variqueuses ou cancéreuses allaient se plonger dans cette fontaine et y décrasser leurs plaies. »
— Jean-Marie Déguignet, Mémoires d'un paysan bas-breton
Des peintres prennent le grand pardon comme modèle de leurs tableaux, tel Eugène Boudin qui exécute 23 croquis dans les années 1855 - 1857 pour préparer son tableau Un pardon près de Quimper, aujourd'hui disparu15.
La première moitié du xxe siècle verra également l'édition de cartes postales des scènes pittoresques des pardons de Kerdévot. On peut notamment citer les séries de Joseph Villard dans les années 1910 et celles de Raphaël Binet dans l'entre-deux-guerres15.
Le retable puis la chapelle sont progressivement reconnus comme un patrimoine à protéger : après le classement aux monuments historiques du retable flamand le 23 juillet 189816, la chapelle, la sacristie et le calvaire sont classés à leur tour le 9 mai 191417. L'ensemble architectural et le placître deviennent aussi un site inscrit en 193117, et le reste des objets et du mobilier ancien est classé monument historique entre les années 1930 et 195018.
Après la seconde Guerre mondiale, la renommée de la chapelle diminue. Seul le « grand pardon » de la nativité de Marie attire encore plusieurs milliers de personnes au début du mois de septembre19.
C'est seulement après le vol en 1973 de plusieurs personnages du retable flamand, que l'intérêt pour la chapelle renaît vraiment. Le bâtiment et son mobilier sont restaurés, et le site s'ouvre aux visites touristiques.