Jacques Tati est nĂŠ Jacques Tatischeff le 9 octobre 1907 au Pecq, près de Paris. Son grand père paternel, le gĂŠnĂŠral Dimitri Tatischeff, fut ambassadeur du Tsar en France. Sa mère est dâorigine italienne et hollandaise. Son père a repris le commerce dâencadrement de son beau-père, François Van Hoof, qui aurait refusĂŠ Ă Van Gogh trois toiles en paiement de ses cadres⌠et il comptait sur son fils, Jacques, pour
lui succĂŠder.
En 1928, après son service militaire, Tati dĂŠcouvre le rugby en Angleterre et sâinscrit Ă son retour au Racing Club de France. Il joue dans lâĂŠquipe dâAlfred Sauvy, futur ĂŠconomiste et dĂŠmographe.
Excellent mime, il refait le match pendant la troisième mi-temps, Ă la grande joie de toute lâĂŠquipe. Il improvise alors ses premières pantomimes comiques et donne, de 1930 Ă 1934, Ă lâoccasion de la revue annuelle du Racing, des reprĂŠsentations de son premier spectacle, qui deviendra Impressions sportives au ThÊâtre Michel en 1935. En 1934, un gala est organisĂŠ pour fĂŞter le Ruban Bleu du paquebot âNormandieâ. Maurice Chevalier et Mistinguette sont Ă lâaffiche, mais ce soir-lĂ , câest Tati qui a la vedette. Le directeur de lâABC, cĂŠlèbre music-hall parisien, lui offre sa scène. Colette, qui rit avec tout Paris, ĂŠcrit : âJe crois que nulle fĂŞte, nul spectacle dâart et dâacrobatie, ne pourront se passer de cet ĂŠtonnant artiste qui a inventĂŠ quelque chose. Quelque chose qui participe du sport, de la danse, de la satire et du tableau vivant. Il a inventĂŠ dâĂŞtre ensemble le joueur, la balle et la raquette ; le ballon et le gardien de but, le boxeur et son adversaire, la bicyclette et son cycliste. En Jacques Tati, cheval et cavalier, tout Paris verra vivante la crĂŠature fabuleuse : le Centaure !â MalgrĂŠ lâopposition paternelle, il part en 1936 en tournĂŠe avec Marie Dubas et la troupe de lâABC. Il est dĂŠsignĂŠ par certains journaux comme ÂŤ la rĂŠvĂŠlation de lâannĂŠe Âť.
Tout en promenant Impressions sportives Ă travers lâEurope jusquâĂ la guerre, il dĂŠbute au cinĂŠma en ĂŠcrivant et interprĂŠtant en 1932 Oscar, champion de tennis, demeurĂŠ inachevĂŠ, faute de moyens. Tati rĂŞve de cinĂŠma. Les burlesques amĂŠricains, notamment W.C. Fields et Buster Keaton, le fascinent. Sâensuivent deux courts mĂŠtrages avec son ami, le Clown Rhum, petit et nerveux, parfaite antithèse de Tati : On demande une brute (1934), ĂŠcrit avec Sauvy, et Gai dimanche (1935), par Rhum et Tati. RĂŠalisĂŠ par le dĂŠbutant RenĂŠ ClĂŠment et produit par Fred Orain, Soigne ton gauche (1936) prĂŠfigure enfin lâĹuvre Ă venir.
Tati y interprète un valet de ferme qui assiste Ă lâentraĂŽnement dâun boxeur et se retrouve sur le ring. Puis il interprète le rĂ´le dâun fantĂ´me et la silhouette dâun soldat dans deux films de Claude Autant- Lara : Sylvie et le fantĂ´me (1945) et Le Diable au corps (1946).
DĂŠmobilisĂŠ en 1943, Tati sâinstalle en zone libre, près du village de Sainte-SĂŠvère-sur-Indre, avec son ami Henri Marquet. Ils y ĂŠcrivent le scĂŠnario du court mĂŠtrage LâĂcole des facteurs (1947), que RenĂŠ ClĂŠment doit rĂŠaliser. Pris Ă la fois par la sortie de La Bataille du rail et les tournages de La Belle et la bĂŞte de Jean Cocteau et du Père tranquille, ClĂŠment abandonne Ă Tati la rĂŠalisation. Le producteur Fred Orain lui donne carte blanche. Le film est un succès et reçoit le Prix Max Linder en 1949. Quinze jours avant le DĂŠbarquement de Normandie, le 25 mai 1944, Jacques Tati ĂŠpouse Micheline Claude Winter. De cette union vont naitre Sophie en 1946 et Pierre en 1949.
Tati commence, en mai 1947, son premier long-mĂŠtrage, extension et transformation de LâĂcole des facteurs. Jour de FĂŞte est tournĂŠ avec une camĂŠra noir et blanc et une camĂŠra en couleurs mais Thomson ne parvient Ă tirer des copies de la pellicule couleur. Le film doit changer de distributeur pour ne sortir quâen 1949 en noir et blanc, mais il triomphe sur les ĂŠcrans. Ă Paris, Londres, New YorkâŚ, on salue lâapparition non seulement dâun mime, mais surtout dâune nouvelle forme de burlesque. PrimĂŠ Ă Venise, le film reçoit le Grand Prix du CinĂŠma Français en 1950. Insensible aux multiples propositions, Tati refuse de poursuivre les aventures de François le facteur.
Il le trouve trop français et veut surtout suivre sa propre voie avec une rigueur et un entĂŞtement quâil partage avec quelques autres cinĂŠastes français de cette ĂŠpoque, comme Robert Bresson. Tati rĂŠalisera ainsi seulement six longs mĂŠtrages en trente ans.
Pour Les Vacances de Monsieur Hulot, qui ne sort que quatre ans plus tard, Tati ĂŠcrit le scĂŠnario avec Henri Marquet, dĂŠjĂ co-auteur de Jour de fĂŞte et cette fois le peintre Jacques Lagrange, avec lequel il collaborera jusquâĂ la fin de sa vie. Toujours produit par Fred Orain, tournĂŠ en 1951 et 1952 Ă Saint-Marc-sur-Mer, près de Saint-Nazaire, le film sort le 25 fĂŠvrier 1953 et devient un gros succès public et critique. Il reçoit le prix Louis Delluc, est primĂŠ Ă Cannes, Bruxelles, Berlin, New York, en AlgĂŠrie, en Suède, Ă Cuba, et est nommĂŠ aux OscarsÂŽ en 1955. Le cinĂŠaste y fait un grand pas vers la dissolution du hĂŠros parmi les estivants de lâhĂ´tel de la plage : Hulot est le plus souvent Ă lâĂŠcran, mais chaque personnage est susceptible dâoccuper lâespace le temps dâun gag. Le gag lui-mĂŞme fait de plus en plus appel Ă lâattention, Ă lâimagination et Ă la crĂŠativitĂŠ du spectateur. Aux antipodes du comique verbal de lâĂŠpoque, Hulot prend place dans la mythologie, entre Don Quichotte et Charlot.
En dĂŠpit dâoffres lucratives ĂŠmanant de producteurs anglo-saxons, Jacques Tati, soucieux de dĂŠfendre sa libertĂŠ artistique, entreprend cinq ans plus tard la rĂŠalisation de Mon Oncle, deuxième ĂŠpisode de la vie de Monsieur Hulot. Le tournage est marquĂŠ par la collaboration avec Pierre Etaix, en tant quâassistant de Tati et dessinateur. Mon Oncle bĂŠnĂŠficie dâun financement plus confortable et est tournĂŠ en couleurs, en deux versions : française et amĂŠricaine (My Uncle), Ă SaintâMaurâdesâFossĂŠs et aux Studios de la Victorine de Nice pour les scènes de la Villa Arpel dessinĂŠe par Jacques Lagrange. Tati dĂŠveloppe un regard critique sur lâĂŠvolution de la sociĂŠtĂŠ jusquâalors seulement sous-jacent dans les films antĂŠrieurs. Prix spĂŠcial du Jury Ă Cannes, OscarÂŽ du meilleur film ĂŠtranger en 1959, Tati est consacrĂŠ dans le monde entier. InspirĂŠ par lâuniformitĂŠ des nombreux aĂŠroports quâil parcourt pour la promotion de Mon Oncle, Tati entreprend son film le plus ambitieux.
PlayTime, tournĂŠ dâoctobre 1965 Ă octobre 1967, est une entreprise considĂŠrable pour le cinĂŠma français : Tati fait construire durant six mois un immense dĂŠcor de bĂŠton, de verre et dâacier, entre Vincennes et Joinville-le-Pont, et dĂŠcide de filmer en 70 mm avec son stĂŠrĂŠophonique sur six pistes magnĂŠtiques. Le devis initial est largement dĂŠpassĂŠ. Le film dure initialement 2h32 mais Tati accepte de le ramener Ă 2h17. Cela ne change rien. ÂŤ Jour de FĂŞte a coĂťtĂŠ 17 millions, en a rapportĂŠ 80. Les Vacances de Monsieur Hulot ont coĂťtĂŠ 120 millions et en ont rapportĂŠ 210. Mon Oncle a coĂťtĂŠ 250 millions et en a rapportĂŠ 600⌠Je me suis dit : Ah non ! Ăa a marchĂŠ, jâai une belle maison Ă Saint-Germain, il y a du rĂŠpondant, il faut y aller. Jâai donc commencĂŠ Ă construire ce fameux dĂŠcor, et PlayTime a coĂťtĂŠ 1 500 millions et a eu un dĂŠficit de 800 millions⌠ .
Tati doit liquider sa sociĂŠtĂŠ de production Specta Films, perdant au passage les droits de ses films. Il rĂŠalise des spots publicitaires (Simca, Taillefine, La Mairie de Paris, SebâŚ), et ĂŠcrit et interprète le court mĂŠtrage Cours du soir. Le coĂťteux dĂŠcor, dont Tati aurait rĂŞvĂŠ quâil devienne le CinecittĂ français, est finalement dĂŠtruit, malgrĂŠ les sollicitations du metteur en scène auprès dâAndrĂŠ Malraux, alors Ministre dâĂtat chargĂŠ des Affaires culturelles. En 1971, il accepte de corĂŠaliser la suite des aventures de Monsieur Hulot pour une production franco-hollandaise. Après le dĂŠsistement du rĂŠalisateur Bert Haanstra, il signe seul son cinquième long mĂŠtrage, Trafic, nouvelle confrontation entre la modernitĂŠ et le retour Ă la nature.
A la demande de la tĂŠlĂŠvision suĂŠdoise, en 1973, Tati reprend ses cĂŠlèbres mimes sportifs et assure la transition entre les numĂŠros de musiciens, jongleurs, magiciens et acrobates, dans la peau du personnage de Monsieur Loyal du cirque de Stockholm. Initialement prĂŠvu pour des retransmissions tĂŠlĂŠvisĂŠes en plusieurs ĂŠpisodes, Tati dĂŠcide finalement de faire de ces images tournĂŠes en vidĂŠo, un long mĂŠtrage, Parade. A lâinvitation de Gilbert Trigano, il tourne un documentaire sur la finale de la Coupe dâEurope de football de 1978 opposant Bastia et Eindhoven, quâil nâachève pas et auquel sa fille, Sophie Tatischeff, donne vie en 2000 sous le titre Forza Bastia.
En 1977, Jacques Tati reçoit le CĂŠsar du cinĂŠma français pour lâensemble de son Ĺuvre. Il prend alors la parole pour dĂŠfendre avec ferveur les jeunes rĂŠalisateurs et la production de courts mĂŠtrages. En 1982, il reprĂŠsente la France lors dâun hommage rendu par le Festival de Cannes aux dix meilleurs rĂŠalisateurs du monde.
Jacques Tati dĂŠcède le 4 novembre 1982 dâune pneumonie, laissant inachevĂŠs les projets de Confusion, scĂŠnario quâil venait dâachever avec Jacques Lagrange, et de LâIllusionniste, finalement adaptĂŠ et rĂŠalisĂŠ sous forme de film dâanimation par Sylvain Chomet en 2010.