Monsieur pantin de bois et Carlo Collodi se rencontrent le sept avril deux mille vingt quatre. Assis sur un nuage, jambes pendantes, Ils se contemplent, un peu gĂȘnĂ©s, Ă©tonnĂ©s de se retrouver face Ă face.
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      â  Me voici enfin devant vous, monsieur mon crĂ©ateur. Ne suis-je toujours que le petit pignon ou la vulgaire bĂ»che de bois Ă brĂ»ler que le pĂšre La Cerise apporta un jour Ă Geppetto afin quâil y sculptĂąt un pantin ?
      â Pinocchio, petit garçon enfermĂ© dans son corps de bois comme la graine de pin dans sa coquille ! Je tâai conçu Ă mon image. NâĂ©tais-je pas moi-mĂȘme fils de domestiques, un des cinq enfants du cuisinier et de la femme de chambre du marquis de Ginou de Doccia ?
      â Quel beau cadeau mâavez vous fait lĂ ! Un petit pantin qui tue âle grillon parlantâ tentant de le raisonner , qui vend lâalphabet offert par son pĂšre, qui fait lâĂ©cole buissonniĂšre , qui suit deux brigands lesquels finiront par le pendre ! Et de quelles belles qualitĂ©s mâavez-vous dotĂ© ! Fugueur, libertaire, espiĂšgle et par dessus tout, menteur ! Pourquoi le mensonge Ă un tel niveau !
      â  Parce que lâĂȘtre qui hĂ©site et cherche son chemin ne peut y Ă©chapper. Ne te plains pas Pinocchio puisque la fortune tâa mĂ©tamorphosĂ© en fils de bourgeois, personne parfaite aux yeux des « bien pensants »... Un peu malgrĂ© moi, puisque le public mây a contraint, jâai voulu pour toi une fin heureuse.
Une fin heureuse ! AprĂšs mâavoir fait vivre tous ces moments atroces ! Mon nez transformĂ© en perchoir pour les oiseaux qui le picoraient, me procurant dâaffreuses douleurs, ma transformation en Ăąne, ma pendaison par le chat et le renard, mon enfermement dans le ventre obscur de lâĂ©norme poisson ...
      â  Souviens-toi Pinocchio ! La magie a toujours Ă©tĂ© prĂ©sente... dans le personnage de la fĂ©e bleue qui te sauva de la mort... dans le voyage que tu fis avec ton ami Lucignolo au pays des jouets... dans le dĂ©vouement de Geppetto Ă ton Ă©gard.
      â   Ce furent en effet des moments inoubliables...Â
      â   Tu es mon Ćuvre et celle de tous les hommes. Tu fais partie des personnages immuables qui ont, de tout temps, servi de repĂšres aux hommes et Ă la pensĂ©e, comme Arlequin, Polichinelle, Stenterello ...
      â      Mais quelles peuvent bien ĂȘtre les circonstances qui ont fait, quâun jour, ma lĂ©gende a pris naissance ?
Pour rembourser des dettes de jeux , jâentrepris dans le journal Fanfula, la rĂ©daction de lâhistoire dâune marionnette, sous forme de feuilleton et dont le titre Ă©tait « Les aventures de Pinocchio ».Â
      â   Je ne sais si je dois mâen rĂ©jouir car depuis, je joue dans les consciences, dans la littĂ©rature, dans les relations humaines un rĂŽle trĂšs lourd Ă porter pour le pauvre pantin de bois que je fus.
      â    Pinocchio ! Notre association Ă©tait inĂ©vitable ! Ce conte devait ĂȘtre Ă©crit. Tu devais exister comme existe la lumiĂšre, comme existe la pensĂ©e. Ton personnage est essentiel, incontournable pour le thĂ©Ăątre populaire, pour lâintelligence, pour la vie. il nous est naturel de penser que tu âesâ depuis toujours. On nâimagine pas un monde sans Pinocchio, « petit pignon »,Â
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Le garçon se lĂšve dessinant dans le ciel sa fragile silhouette . Peu Ă peu les nuages sâestompent. Seul dans lâazur, un soleil radieux continue Ă Ă©clairer de tous ses feux la magnifique forĂȘt de BrocĂ©liande.