Dans la série des Glises : Arcisse
Lorsque la cloche sonna onze heure, il savait qu’il ne lui faudrait plus que quelques minutes pour en finir avec sa mission. Perché sur un escabeau déséquilibré il manipulait les câbles avec la plus grande prudence. La lune éclairait ses gestes précis et automatiques. Tous les lampadaires étaient coupés pour quelques heures et limiter les dépenses énergétiques superflues.
Mais pas seulement. La nuit, les insectes sont attirés par la lumière artificielle. Certains en meurent, d’autres deviennent fous et finissent en longs séjours dans des centres spécialisés dans la rééducation du sommeil. Les oiseaux sont aussi perturbés. Ceux qui ne se grattent qu’à moitié et voyagent de nuit se repèrent aux étoiles. Or la masse lumineuse provenant de l’éclairage public nuit.
Même l’humain, espèce nuisible, est perturbé par l’éclairage nocturne. Comme d’autres animaux son rythme biologique se « cale » sur les périodes de jour et de nuit. De nombreuses études démontrent aujourd’hui l’effet néfaste d’un « décalage » de la nuit.
Jérôme s’en fiche pas mal il travaille souvent de nuit, est jeune et dort comme un loir. Il a tout rebranché comme il faut et il est sûr que pour ce soir c’est presque fini. Alors dans la pénombre il range son escabeau et ses outils à l’arrière de sa camionnette et s’octroie une cigarette avant d’entamer sa mission suivante.
Parlons-en de la cigarette. Cette feuille de tabac séchée, hachée et roulée dans un tube de papier. Un produit naturel en vente réglementée qui tue tous les ans une grande partie de ses consommateurs. Certes ce n’est pas un sujet hyper joyeux, mais il y pense parfois en toussant. Faudrait voir à arrêter. Alors il chasse la fumée de cette idée et s’en grille une autre.
Il conduit vite, il aimerait bien en finir. Encore deux interventions et il pourra rentrer chez lui retrouver son lit.
Il se gare juste devant le boitier. Ouvre la porte latérale et se met au travail. Ici encore tout est noir. Plus d’éclairage non plus. Il aime bien travailler dans la pénombre. Il a l’impression d’être un voleur de film d’action. Il ouvre des boites, coupe des fils, en rebranche d’autres, répare, bricole, pour qu’au matin les usagers puissent de nouveaux consulter leurs mails, regarder des vidéos de chatons ou encore travailler depuis leur salon.
C’est fou comme le Covid aura facilité le télétravail. Emilie, sa compagne, reste à la maison pour travailler trois jours par semaine. Elle en est ravie. Le monde du travail change dans le bon sens on dirait. Mais cela n’a pas que des bons côtés. Et puis hop, il rebranche. Fini. « Cette fois je prends la route de la maison ». Une bonne nuit d’astreinte se termine. Aller. On logue discrètement.