La ville de Nyons a toujours bénéficié d’un microclimat. Eloignée des eaux stagnantes des launes du Rhône, aucun nuage n’empêchait les rayons du soleil de faire chanter les couleurs d’un paysage qui s’alanguissait sous le ciel bleu, de ce bleu intense que l’on rencontre seulement dans cette région de la haute Provence.
Les hivers y étaient cléments, mais les étés ! Dans ce site, entouré de rochers et de monts, c’était une véritable fournaise !
Aussi les habitants décidèrent d’envoyer une ambassade en Sicile, pour demander à Eole une outre de vents comme il avait donné à Ulysse.
Le curé entra dans une grande colère.
— Mécréants, comment pouvez-vous croire à de pareilles sornettes ? Cette histoire a été inventée de toutes pièces par Homère pour expliquer la longue errance du roi d’Ithaque. Nous les chrétiens, nous devons nous en remettre à Dieu, en priant pour qu’il fasse un miracle.
Quelques jours plus tard, se tenait à Vaison un important Concile, regroupant les principaux prélats des Gaules. On y alla chercher Césaire, un ancien moine des Îles de Lerins, devenu évêque d’Arles et dont on vantait les miracles.
— Il nous faudrait un vent plus léger que le Mistral, moins froid que la bise et n’apportant pas la pluie par tornades, comme celui du midi, dirent les habitants.
— Vous êtes bien difficiles, répondit le saint homme. En somme ce que vous désirez, c’est un vent qui souffle juste ce qu’il faut pour rafraîchir l’air quand il fait chaud et qui ne se manifeste plus quand vient le froid.
— Tout à fait, répondirent les Nyonsais.
— Et bien, je vais partir en campagne mais cela risque d’être long et de plus, je ne vous promets rien.
L’évêque prit son bâton de pèlerin et muni d’une grande besace, partit en quête à travers toute la Provence : du Rhône au Mercantour, du Ventoux à la Camargue, pas un souffle ne convenait. Il dut rentrer bredouille en Arles.
Le temps passa et Césaire oublia Nyons et les Nyonsais. Pourtant un jour, alors qu’il revenait de Rome par les bords de la Méditerranée, il fut arrêté par un air de cithare. C’était le vent, un vent mélodieux qui jouait sur des aiguilles de pin. Le vieil homme tendit l’oreille.
— C’est tout à fait ça, c’est celui-là qu’il faut pour le pays des olives.
N’ayant pour récipient que ses gants, il présenta l’un d’eux au vent qui s’engouffra et le gonfla comme un ballon de baudruche. L’évêque le referma avec un de ses lacets de sandales et se l’attacha solidement au poignet. Le vent était prisonnier.
— Il faut que je le transporte tout de suite sur les bords de l’Aygues avant qu’il ne s’affaiblisse ou ne s’échappe.
En chemin, il lui parlait pour l’apprivoiser.
— Au bord de la mer tu perdais ton temps, un vent c’est fait pour transporter des odeurs agréables. Je t’emmène clans un pays aux milles senteurs. Tu pourras véhiculer les parfums du thym, du laurier, du serpolet, les arômes de la sauge, du romarin, du basilic et de la ciboulette.
Arrivé face au rocher qui obstruait la vallée, il jeta son gant et le roc explosa.
Le vent tournoya, s’amplifia et souffla sur la ville apportant sa fraîcheur bienveillante, chargée de lavande et de menthe sauvage. Les Nyonsais le baptisèrent « le Pontias ».
Cette histoire se passait en l’an de grâce 530. Est-elle vraie ? vous en doutez ? Et bien demandez-le au Pontias qui souffle toujours sur la ville de Nyons.
Source : Jean-Pierre Ginet, Contes et légendes de la Drôme, Valence, Editions E & R, 1999.