Lorsque P'tit Champ sorti son nez de terre à l'abri d'un grand pin, son chapeau était en partie recouvert de quelques feuilles. Ce qu'il peut apercevoir entre deux d'entre elles le figea d'une angoisse instantanée : à environ un mètre, devant lui se trouve un gros champignon attaqué par l'ennemi ancestral du champignon des bois, la limace et son cousin à cornes , l'escargot ! Pied et chapeau étaient sucés, mâchouillés, troués, grignotés, dévorés ; il apercevait même des traces de mandibules de perce oreilles sur un bout du chapeau qui était tombé au sol sous son propre poids !
P'tit Champ frisonnait ; ce champignon était gros et avait certainement été très beau avant d'être découvert et de subir les attaques de ces prédateurs implacables. Ils ne mettraient pas très longtemps à le trouver, et lui aussi subirait un jour peut-être pas si lointain le même sort funeste...
Une petite pluie l'avait fait sortir du sol, mais heureusement, le temps était redevenu sec et ensoleillé. Les limaces et les escargots ne se risqueraient donc pas pour un moment à se griller la couenne au soleil et cela lui donnait un peu de répit.
Il en profita pour arrêter de grandir, pour ne pas se faire repérer, et se mit à réfléchir.
Il réfléchit toute la journée, puis la nuit, puis la journée suivante, il imagina toutes les stratégies possibles et impossibles.
A l'aube d'une seconde nuit d'un sommeil entrecoupé de cauchemards où d'immenses limaces gluantes et d'escargots baveux se précipitaient sur lui accompagnés de perce oreilles dont il entendait le claquement sec des mandibules, il se dit :
"Je ne peux pas partir d'ici à clochepied, m'envoler comme un oiseau, fabriquer des armes pour éliminer ces sinistres bestioles, il n'y a qu'une seule solution : il me faut m'endurcir suffisamment pour qu'elles ne puissent me manger par petits bouts jusqu'il ne reste plus rien de moi !"
Alors, P'tit Champ lança un appel au secours par le mycélium local d'où il était né et qui le reliait aux arbres et arbustes de la forêt. Les arbres discutèrent entre eux, se demandant ce que P'tit Champ allait bien pouvoir faire avec du calcaire ; mais comme ce sont des créatures plutôt débonnaires et complentatives, et qu'en plus ils avaient bien besoin du mycélium des champignons comme il le leur avait rappelé, il lui dirent : "C'est d'accord, P'tit Champ, nous te fourniront en calcaire, toi et tes congénères qui le demanderont ; mais peux-tu nous dire ce que tu veux en faire ?" "Vous voyez bien, je ne peux rien vous dire pour l'instant, des oreilles ennemies pourraient être branchées sur notre réseau WWW (*) leur répondu-il.
" Ecoutez, leur dit-il : cela fait des millions d'années que par notre mycélium, nous, Champignons des Bois, vous permettons de communiquer entre vous, que l'on vous alimentent en eau, carbone et tout ce qui se trouve dans le sol pour votre croissance et votre bien bien-être ; en échange, je vous demande de m'alimenter en minéraux que vous pouvez trouver facilement en profondeur dans le sol grâce à vos grosses racines, plus particulièrement le calcaire que l'on trouve en grandes quantités par ici."
Et jour après jour, P'tit Champ absorba des minéraux, que les arbres lui faisaient parvenir par le mycélium, surtout beaucoup de calcaire mais aussi un peu de tungstène et d'ocre pour se faire beau...
Petit à petit, sa tendre chair de champignon se durcit, aussi bien en surface, qu'à l'intérieur, et il profita des pluies d'automne pour grandir.
Mais, un jour de pluie, comme il s'y attendait, il fut repéré par une limace exploratrice avant se s'être complètement minéralisé, puis une seconde, et un escargot, puis toute une troupe de corps visqueux et gluants, bref, dégoûtants, ainsi que par des perce oreilles armés de mandibules acérées !
En pure perte : ils y laissèrent tous leurs dents et leurs mandibules sur son corps de pierre et s'en allèrent les uns après les autres, la queue entre les jambes, chercher un dentistes pour limaces, escargots et perce oreilles !
P'tit Champ avait gagné, il pouvait maintenant résister aux animaux rampants, aux animaux à mandibules et même aux animaux à cornes !
Il se dit aussi que, peut-être, les cueilleurs de champignons à deux pattes préfèreraient le laisser en place pour ne pas prendre le risque de s'y casser les dents ...
Oh, il avait bien eu quelques morsures par ci par là, quelques bouts de chair arrachés par les premiers attaquants avant qu'il ait pu terminer son armure minérale, mais il s'en était sorti, et il avait même capturé les plus gourmands des escargots morts d'obstruction intestinale à son pied !
D'un coup, il sut ce qu'il allait faire des traces d'or qu'il avait trouvé parmi le calcaire envoyé par les arbres !
Il en rigolait d'avance...
La nouvelle fit vite le tour de la dune et les autres nouveaux champignons qui sortaient de terre suivaient l'exemple de P'tit Champ et commencèrent à demander aux arbres de les fournir en calcaire, et colorants minéraux divers suivant leurs goûts.
Une nouvelle espèce de champignons venait de naître, le "lapis armis boletus", le Champignon à armure de pierre !
En cherchant bien, vous pourrez peut-être en admirer quelques uns, dont P'tit Champ bien sûr, devenu maintenant bien grand !
Mais Chut !, gardez le secret et ne le dites à personne, et surtout, ne les cueillez pas !
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(*) WWW : « Wood Wide Web ». Ce réseau organique fonctionne un peu comme notre réseau Internet, permettant aux plantes de communiquer, de distribuer la nourriture ou même de nuire à d'autres.