Commençons par une question pour nous situer dans le temps. A quelle date a été construite la maison qui fait face à cet espace circulaire couché en pelouse ? A cette époque, sa voisine d’en face était une mare dite du « trou à sable ».
Allonville a compté jusqu’à quatre mares. En bas de la rue des Auges elle fut comblée, la mare du four face au château fut amputée de la moitié de sa surface. La mare du bas du Bout de ville fut convertie en réceptacle d’eau pluviale. La « mare du trou à sable » fut remblayée et couchée en pelouse dans les années soixante-dix.
La mare du «trou à sable » s’incruste dans un lobe du Beauregard. Elle fut ainsi appelée car, à l’origine, c’était une carrière dont on extrayait du sable destiné à la maçonnerie locale, ou au plaquage de torchis ou de pisé. Son exploitation tomba lentement en désuétude. Cette cavité artificielle accueillit alors, par le simple jeu de la gravité, les eaux qui couraient le long de la Grande rue et de la Ruelle. L’urine des chevaux et vaches, qui venaient s’y désaltérer, se mêlait régulièrement à celles du ruissellement. On en fit une mare dont on aménagea les abords en y plantant quelques saules en bordure de route et des trembles dans le fond. Un escalier de trois marches permettait d’y puiser l’eau pour des besoins domestiques. Certains, paraît-il, y puisaient même l’eau pour faire leur cidre qui, soutenaient-ils, était de ce fait bien meilleur. Pasteur les avait rassurés!
Ce fut aussi le terrain de jeux favori des enfants, surtout des garçons. Lorsque décembre l’avait couvert d’une glace épaisse et bulleuse (bulles de méthane produit par la vase) se tenaient alors des concours de glissades : c’était à qui tirerait la plus longue. Les parents étaient sollicités pour que les semelles de bois des galoches soient garnies de clous, si possible à tête plate. Mais gare à la glace traitresse qui se brisait lorsqu’elle était rendue fragile par le dégel et surtout en raison de l’abreuvage des animaux. En effet à cette époque, par temps de gel, les pompes à main des citernes étaient pétrifiées; l’hiver on perçait donc des trous en bordure de mare pour désaltérer le troupeau. L’eau ainsi soutirée laissait un vide sous la glace et pataras!
L’été la mare accueillait de très petits bateaux fabriqués d’un bouchon de liège coupé en deux et d’une plume formant voile. A l’insu des parents, les plus téméraires des garçons (aucun d’entre eux ne savait nager) tentaient une baignade qui faisait remonter autour de leur taille la fange du fond. Mais attention, dans la partie la plus éloignée de la mare et aussi la plus sombre baugeait là, « ech cochon noir » qui dans son antre emportait les enfants imprudents désobéissants pour les dévorer. Beaucoup de parents affirmaient, péremptoires, l’avoir aperçu. La prudence était donc de mise, non pas tant par peur d’ « ech cochon noir», mais de la fessée bien plus redoutable et que l’on administrait alors sans retenue. La mare remblayée « ech cochon noir» disparut.
Face à la mare une maison de briques affiche avec les fers de ses fermes la date de sa construction. En 1940 les granges et le pressoir du Beauregard qui jouxtaient au sud la mare furent détruits lors d’un bombardement qui endommagea gravement le château. Deux soldats allemands gisaient, gravement blessés, l’un dans l’entrée, l’autre dans la cour du Beauregard. La porte du garage jouxtant au nord la maison face à la mare fut soufflée. Les deux jeunes femmes et un très jeune garçon qui s’y trouvaient s’en tirèrent avec une grande frayeur et une quinte de toux provoquée par l’énorme nuage de poussière que la bombe avait soulevé. La maison face à la grange très gravement touchée ne fut jamais reconstruite.