Les accords d'Evian ont été secretement négociés aux Rousses
Un batiment des ponts et chaussées abrita en février 1962 les pourparlers entre émissaires du gouvernement et du FLN.
Le 19 février 1962, les autorités françaises confirmaient dans un communiqué officiel les rumeurs d’un projet d’accord avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Trois jours plus tard, la presse livrait la clé de l’énigme que, tout au long de la semaine précédente, elle avait cherché à percer en vain. La présence de CRS gardant la préfecture de Saint-Julien-en-Genevois et de mystérieuses voitures dans la cour d’un hôtel de Kussnacht (en Suisse) avaient leurré les nombreux reporters battant la campagne afin de découvrir le lieu tenu secret des pourparlers. Les délégations se retrouvaient, en fait, chaque jour aux Rousses, dans un bâtiment des ponts et chaussées, le Chalet du Yéti.
« Tous les artifices furent utilisés pour dépister les curieux », note le journaliste du Figaro. Franchissant la frontière alternativement à la Cure et à Bois d’Amont, « les voitures des envoyés algériens étaient chargées de skis et de luges. Il y eut même des embouteillages volontairement provoqués par d’acrobatiques têtes-à-queue afin de permettre aux délégations de se retrouver en toute tranquillité et dans le secret », raconte l’article.
Soupçons
Préfet du Jura, Pierre Aubert avait été chargé quelques semaines plus tôt par le Premier ministre Michel Debré de prendre, dans la plus grande discrétion, les dispositions nécessaires à l’accueil des négociations entre Louis Joxe et les émissaires du FLN. Une véritable aventure qu’il raconte dans un livre paru en 1985 *. « Le Yéti présentait à mes yeux de multiples avantages. Ce blockhaus assez hermétique, familier aux usagers de la Route blanche, n’attirait le regard de personne », écrit-il. Le bâtiment, évidemment, a aussi l’avantage de la proximité avec la Suisse. Le haut fonctionnaire songe à la Lettre volée, d’Edgar Poe : « Certes, le choix pouvait paraître risqué car nous étions en plein sur la route nationale, au vu de tout le monde, avec un va-et-vient automobile assez intense, mais c’est précisément cette dernière considération qui me poussait à ce choix ».
Deux premières entrevues eurent lieu les 9 et 23 décembre 1961 aux Rousses. Pour la troisième rencontre, il avait semblé plus prudent de changer de lieu. Elle se fit donc au domaine de Chalain. Les deux parties se retrouveront encore à Lons-le-Saunier, dans une annexe de la préfecture.
Paris-Match
« Je n’ai jamais compris comment les journalistes ont pu, dans cette affaire, se laisser abuser à ce point », s’étonne Pierre Aubert. Il ne se priva pas d’accréditer l’idée d’étranges lumières et de fantômes mystérieux au château d’Arlay. « Le jour suivant, c’était la clinique Guinchard à Champagnole, le lendemain la colonie de vacances du Chalet des Neiges. Une hypothèse astucieuse avait même été échafaudée : il paraît que les négociations se passaient dans un wagon itinérant installé sur une ligne stratégique désaffectée », s’amuse-t-il. L’arrivée d’une équipe de Paris-Match au Rousses le mettra néanmoins en alerte. L’hebdomadaire publiera d’ailleurs, mais après-coup, une photo des négociateurs aux Rousses en tenue de skieurs.
Trois semaines plus tard, à Evian, s’ouvraient des négociations, officielles cette fois.
Source: La voix du jura