
LE CROQUIS DE GRAND-PÈRE
Grand-père avait vécu simplement. Meunier, il n’avait jamais quitté ses terres bretonnes, affichant toujours un contentement assuré. Pourtant, quand il me racontait des récits d’aventures, de trésors maudits et de fortunes vertigineuses, son regard scintillait de mille feux.
Avant de mourir, Grand-père avait dessiné à la hâte sur un bout de papier les restes d’un lointain souvenir. C’est pour toi, m’avait-il dit, pas un mot à qui que ce soit.
Je gardai soigneusement ce bout de papier, ne sachant qu’en faire. Je ne reconnaissais l’endroit qui y figurait, ni ne connaissais le nom écrit en-dessous. Grand-père avait vécu à Paimpol et j’avais pour ma part grandi à Rennes. Avec les années le croquis était peu à peu tombé dans l’oubli.
Un hasard professionnel m’envoya à Paimpol. Très vite je m’y sentis chez moi et décidai de m’y installer.
De belles années passèrent et j’étais grand-père à mon tour lorsqu’un jour un article attira mon attention. Il racontait une légende locale que je n’avais encore jamais entendue. Le nom m’était familier et le croquis de Grand-père me revint tout à coup. Au fond d’un carton du grenier je retrouvai le papier vieilli et reconnus le lieu aussitôt. Marquant le croquis d’une petite croix, je filai sans perdre un instant de plus au point d’où l’on pouvait voir cette étrange tête jaillissant des eaux.
LA LÉGENDE DE TOULL AR BROC’H
On parlait jadis d’un somptueux trésor enfoui dans un champ triangulaire quelque part entre le moulin à marée de Poulafret et les ruines de l’abbaye de Beauport. Nombreux étaient ceux qui avaient tenté leur chance mais les seuls champs qui remplissaient les conditions étaient vastes et le labeur si long et pénible que tous avaient abandonné.
Un jeune meunier du nom d’Élouan entreprit tout de même de débusquer l’insaisissable trésor. Il souhaitait épouser une jeune femme de Kernoa mais n’en avait guère les moyens. Si le mystérieux trésor était bien à la hauteur de sa réputation (et s’il le trouvait) le meunier allait pouvoir accomplir son rêve.
Engageant pour lui prêter main forte un ami avec qui il partagerait le butin, le jeune homme se donna jusqu’à Noël pour mettre la main sur le trésor. Tous deux creusèrent sans relâche pendant des mois dans des champs triangulaires, rebouchant leurs trous au fur et à mesure pour ne pas éveiller de soupçon quant à leur quête. Ils gardaient une trace minutieuse de leurs fouilles en dessinant sur un carnet des points de repère tels que les arbres ou encore les enchevêtrements d’îles et îlots du large. De cette manière, ils étaient sûrs de ne jamais creuser deux fois au même endroit.
Un soir de décembre, alors qu’Élouan était resté seul pour creuser un dernier trou avant la nuit, une dense pluie s’abattut sans crier gare, forçant le jeune meunier à trouver refuge sous un arbre. Alors que la pluie cessait, une brume envahit le champ peu à peu. « C’est bien ma chance, » s’écria Élouan. Il se tut aussitôt. Des formes apparaissaient au travers de la brume. Un groupe de silhouettes se tenait vers la limite nord-est du champ, en un point qu’Élouan et son ami n’avaient encore sondé. L’un des êtres brandit un long bâton et le planta dans le sol. Il pressa ensuite son doigt contre ses lèvres et les autres l’imitèrent.
Les formes disparurent alors comme elles étaient venues. La brume se dissipa et le jeune homme courut jusqu’au bâton qui se tenait toujours là-bas. À peine l’eut-il saisi que le bâton disparut entre ses mains et la pluie reprit de plus belle, plus froide que jamais. La nuit enveloppait le champ d’un épais manteau noir et l’on ne pouvait plus distinguer au loin ni arbre, ni île. Élouan plaça donc là où était le bâton un coquillage qu’il avait dans sa poche. Il l’enfonça du pied dans la terre mouillée et rentra en hâte chez lui.
Le lendemain, Élouan mit son ami dans la confidence et les deux hommes reprirent leur tâche, fébriles, persuadés de connaître enfin l’emplacement du trésor. Jetant le coquillage sur le côté, les deux compères creusèrent et creusèrent encore, d’une détermination telle qu’ils en oublièrent de se restaurer. Ils étaient bientôt au fond d’un trou béant mais aucun trésor ne se montrait.
La terre s’effondra tout à coup sous leurs pieds : ils avaient percé une galerie. À en juger par la taille, ce devait être le terrier d’un blaireau. De là où ils se tenaient, deux trous partaient dans des sens opposés. L’un montait, l’autre descendait. La galerie avait cédé sous leur poids mais semblait suffisamment solide sur les côtés et était suffisamment large pour qu’un homme menu s’y glissât sans risque (si tant est qu’il n’y eût plus d’occupant). Élouan était plus menu que son ami et ce fut donc lui qui se faufila à reculons dans le trou qui descendait.
Lorsqu’il refit surface, tout couvert de terre, un étrange mélange d’extase et de fatigue occupait son visage. Il avait touché du pied un objet dur mais il fallait une corde pour le sortir. Son ami courut en chercher une et revint quelques minutes plus tard. Élouan retourna auprès de l’objet et y noua la corde à tâton.
Ils tirèrent et au bout de leur corde apparut enfin un petit coffre de métal rongé par la rouille. Élouan l’ouvrit en hâte et en dévoila le contenu : des dizaines, des centaines de pièces d’or ! Son ami ne put s’empêcher de s’écrier : « Le trésor est à nous ! » À ces mots, les pièces se changèrent en feuilles. Ils se souvinrent alors, trop tard, du geste des silhouettes qu’Élouan avait vues la veille. Le silence avait été rompu.
Une pluie soudaine s’abattut sur les deux infortunés et le trou qu’ils avaient creusé menaçait de devenir leur tombeau. Ils se hissèrent hors du danger juste à temps pour voir la terre s’affaisser et le trou se reboucher. Ils restèrent un moment sur place, ne sachant que dire. Un étrange sourire illuminait le visage d’Élouan alors que le jeune homme palpait ses poches alourdies. Pendant que son ami était allé chercher la corde, Élouan était retourné au fond du terrier, la tête la première cette fois. Le cadenas rouillé du coffre n’avait pas résisté longtemps au pommeau de son couteau et il s’était servi à la hâte. Les pièces ainsi sorties du coffre n’avaient pas subit le sortilège qui avait fait disparaître les autres. Ils partagèrent le maigre butin comme convenu et rentrèrent chez eux.
Élouan usa de sa somme intelligemment, épousa sa bien-aimée et garda un pécule de côté pour les années difficiles. Il n’en fut de même de son ami qui, en rien de temps, avait tout gaspillé. Pris d’une folle obsession à mettre la main sur le reste du trésor, l’homme se remit en chasse mais ne parvint à retrouver le coquillage qui avait servi de repère. Il mourut de froid et de fatigue au bout de quelques jours, au fond d’un trou qu’il avait creusé.
Depuis lors, le soir de Noël, certains disent apercevoir son spectre errant autour de l’endroit du trésor perdu.
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