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L'histoire de la
fête des mères française est assez mal connue. Les tentatives pour
mettre en relation les initiatives qui aboutirent à la célébration
actuelle souffrent souvent de lacunes.
Les recherches
entreprises par l'association Mémoire et Patrimoine
d'Artas, étayées par la consultation d'une importante
documentation, tentent d'élaborer une synthèse et de nouer les
liens entre les péripéties d'une histoire très complexe.
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Premières manifestations en l'honneur des familles
nombreuses
Le déclin de la
natalité à la fin du 19ème siècle, suscita de nombreux cris
d'alarme. Cette inquiétude entraîna la naissance de mouvements
familiaux et natalistes. Créée en 1896 par le docteur Jacques
Bertillon, l'Alliance Nationale pour l'accroissement de la
population française (qui deviendra plus tard Agence Nationale
contre la dépopulation) exprimait le projet d'instituer des fêtes
de l'enfance destinées à honorer les familles
nombreuses.
Dans cet objectif,
l'Union Fraternelle des Pères de Famille Méritants d'Artas, société
de secours mutuels fondée, en 1904, par Prosper Roche, instituteur,
inscrivit dans ses statuts l'organisation d'une journée annuelle
pour remettre des «récompenses de haut mérite maternel». Un
cérémonial devait être respecté pour cette célébration qui eut lieu
la première fois le 10 juin 1906.
L'idée de créer une
décoration destinée aux mères de familles nombreuses avait déjà été
soumise au Président du Conseil en 1903 par le sénateur
Piot.
L'essor du Mother's Day
Aux Etats-Unis,
Anna Jarvis qui avait perdu sa mère en 1905, lança une campagne dès
1907 pour la création d'une fête des mères nationale. Un service
religieux fut célébré le 10 mai 1908 pour l'anniversaire de la mort
de sa mère à Grafton, en Virginie de l'Ouest, et également à
Philadelphie. Ce n'était pas à proprement parler un service en
l'honneur de la maternité mais plutôt un hommage à Mrs Jarvis mère.
Les œillets qui sont devenus partie intégrante de la
célébration américaine furent introduits lors de ce premier service
religieux. L'idée prit racine. En 1911, elle fut célébrée dans tous
les Etats et, le 9 mai 1914, le président Woodrow Wilson proclama
officiellement le Mother's Day comme fête nationale devant se
dérouler chaque année le deuxième dimanche de mai. Elle sera
rapidement adoptée par les pays anglo-saxons.
Pendant la première
guerre mondiale les soldats américains popularisèrent leur fête
annuelle par l'envoi massif de courrier. Une carte postale rédigée
en français fut éditée à cette occasion par l'Union
franco-américaine, le 11 mai 1919.
Le 16 juin 1918, la
ville de Lyon avait organisée, elle aussi, sa Journée des Mères.
Prétendant s'inspirer du Mother's Day, elle poursuivait en fait un
but nataliste en mettant à l'honneur des mères fécondes,
récompensées comme à Artas «en raison de l'intelligence et
du dévouement dans les soins donnés à leurs
enfants».
A l'initiative de
cette journée lyonnaise on trouve le lieutenant-colonel La
Croix-Laval et M. Auguste Isaac, fondateur de l'association La Plus
Grande Famille, président de la Chambre de commerce de
Lyon.
De la Journée nationale des mères de familles nombreuses...
à la fête des mères.
Après le succès de
la ville de Lyon, la Commission d'Assurance et de Prévoyance de la
Chambre des députés examina le projet d'organisation d'une Journée
des mères dans toute la France. Il fut confié à un comité composé
de l'Alliance Nationale, de la Ligue «Pour la vie», de La Plus
Grande Famille et de la Ligue des pères et mères de familles
nombreuses..
Les commissions
parlementaires consultées hésitaient entre la création d'une
journée des mères sur le modèle américain et une célébration dans
le but de promouvoir la maternité.
Sur l'influence de M. Isaac devenu ministre du commerce du cabinet
Millerand et président du Conseil supérieur de la natalité,
l'unanimité du comité se fit sur le titre de Journée Nationale des
Mères de familles nombreuses. D'abord fixée au 15 août 1919 (jour
de l'Assomption), la fête fut reportée au 9 mai 1920.
Membre de ce
gouvernement, M. Breton, ministre de l'assistance et de la
prévoyance sociale, créa le 26 mai 1920 une médaille de la famille
française. La première remise eut lieu le 19 décembre 1920 au
Trocadéro devant près de 7000 personnes.
Les années
suivantes, aucune journée nationale ne sera organisée et la fête
des mères se confondra avec la remise des médailles de la famille
dans quelques mairies.
De 1920 à 1925,
Camille Schneider, un enseignant, s'efforça de faire pénétrer la
fête dans les écoles d'Alsace en proposant des programmes de
spectacles (chants, poèmes, textes d'auteurs...) sur le thème de la
maternité et tenta d'obtenir du ministre de l'éducation une
organisation de la célébration dans le cadre scolaire. Après la
publication de son «Livre d'Or de la Mère», il fut
reçu avec son éditeur par le président Paul Doumer, en
1931.
Entre temps, la
fête des mères avait obtenu une reconnaissance officielle, le
gouvernement l'ayant fixée, par décret en 1926, au dernier dimanche
de mai.
La «récupération» par l'Etat Français
Malgré la
multiplication des prix (Cognacq-Jay reste le plus connu), la fête
des mères mobilisa peu d'énergie avant 1940.
Son véritable
ancrage commença en 1941, lorsqu'elle devint fête nationale sous la
dénomination de «Journée des mères». Le «génie» du gouvernement de
Vichy fut de la faire prendre en charge par les enfants. Une
affiche apposée dans les écoles pour la journée du 25 mai 1941
proclamait:«Ta maman a tout fait pour toi, le Maréchal te
demande de l'en remercier gentiment...» Une lettre
adressée au corps enseignant par le Secrétaire d'Etat à l'Education
Nationale, J. Carcopino, insistait: «L'enfant doit
inventer et décider lui-même le geste qu'il accomplira. Il doit
pouvoir l'entourer de tout le secret et de tout le mystère qu'il
désire...» On connaît le succès du rituel de la
préparation du cadeau et du message qui l'accompagne que des
enseignants continuent de perpétuer ... 60 ans après!
Enfin, à partir des
années 50, la fête des mères cédera à la «récupération» commerciale
(au point qu'on lui a parfois adjoint le nom d'une marque
d'appareils électroménagers!) mais se débarrassera de toute
idéologie patriotico-nataliste.
L'Union Fraternelle des Pères de Famille Méritants
d'Artas.
Monsieur Prosper ROCHE
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Cette société de secours mutuels
avait été fondée en 1904 par Prosper Roche, un instituteur local.
Les cotisations collectées permettaient de constituer un fonds de
retraite et de soutien financier en cas d'incapacité de travail.
Mais il s'agissait aussi d'une véritable société d'entraide entre
ses membres - ayant au moins quatre enfants – dans leur
«lutte pour l'existence» car ils avaient le devoir de:
- Prêter un concours gratuit et dévoué aux veuves, jeunes
orphelins et vieux ascendants de membres décédés sans
fortune.
- Assurer à la mère de famille en état de grossesse un repos
salutaire pour elle et son enfant durant les quinze jours qui
précèdent et qui suivent son accouchement.
En 1905, les Pères
Méritants adressèrent une requête au gouvernement pour qu'il
encourage la maternité:
«Considérant
que pour être modeste et caché, le dévouement persévérant de la
mère de famille méritante n'en est pas moins éminemment utile à la
Nation.
Considérant que les
sentiments de patriotisme font un devoir aux Pouvoirs Publics
d'encourager la procréation et par suite l'œuvre de la
Maternité au moment où notre population a des tendances à rester à
peu près stationnaire.
Par ces motifs, la
société émet le vœu que le gouvernement prenne prochainement
l'initiative d'un projet de loi destiné à créer une série
progressive de récompenses aux mères de familles méritantes ayant
au moins quatre enfants...»
Deux articles du
chapitre des statuts de la société intitulé Encouragement à la
Maternité réglaient le mode de sélection des mères à honorer et le
cérémonial de la fête.
«Chaque année,
en séance publique et solennelle, des félicitations, des diplômes
et des médailles d'honneur, des prix en espèces pourront être
accordés aux mères de famille membres de la société les plus
méritantes. Décidés au vote secret de l'assemblée générale, ces
encouragements seront attribués en raison du nombre d'enfants, du
dévouement et des soins intelligents prodigués à ces
derniers.
Dans un rapport, un
des membres du conseil d'administration fera ressortir les vertus
et le mérite personnel de la mère de famille appelée à recevoir la
récompense qui lui a été attribuée. Vêtues de blanc, deux jeunes
filles s'avanceront ensuite vers ladite mère et lui remettront un
bouquet composé de fleurs symbolisant ses qualités maternelles. Le
président déposera alors une couronne de laurier artificiel sur la
tête de cette mère de famille à qui il adressera des félicitations
ou remettra la récompense accordée...»
Parmi 12
candidates, 2 lauréates furent sélectionnées: Mmes Marie-Louise
Bouvard et Marie Philippe, toutes deux mères de 9
enfants.
Madame Marie Louise BOUVARD
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Madame Marie PHILIPPE
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La grande fête mutualiste organisée
pour cette première manifestation de l'association eut lieu le 10
juin 1906, dans la cour de l'école de garçons d'Artas. Chacune
reçut un prix de 25F représentant environ 6 jours de salaire
ouvrier à l'époque. A titre de comparaison, le prix du grand
banquet réunissant près de 200 convives sous le préau de l'école
était de 3F25.
Les Dames y étaient «admises» d'après l'affiche annonçant la
manifestation
- mention éloquente pour désigner leur place dans la société de
l'époque! -
Aujourd'hui
Aujuord'hui, vous trouverez à Artas un
petit square avec un mur peint et un panneau d'informations qui
célèbre cet évènement. Une cache s'y trouve aussi àprésent. Soyez
discrets car il y a des voisins et des voitures circulent
autour.