C'était dans les temps anciens, alors que le roi Guillaume gouvernait la Normandie, et l'île d'Angleterre qu'il avait gagnée et faite sienne par la force de son épée, et avec l'aide de ses hardis compagnons Normands.
Car c'était un rude batailleur que le roi Guillaume. Toujours l'épée au poing, toujours chevauchant par monts et par vaux, on le voyait guerroyer sans trêve, tantôt contre celui-ci, tantôt contre celui-là, à cette seule fin d'agrandir ses domaines.
Mais, autant on le redoutait à cause de sa colère si prompte à s'enflammer, si tardive à s'apaiser, autant on aimait la reine Mathilde, sa fidèle compagne. C'était une princesse craignant Dieu, et soumise à son rude époux. Belle de corps, généreuse de coeur, douce comme l'enfant au berceau, elle était compatissante au pauvre monde, et toujours sa main lui était libéralement ouverte.
Les méchants sont comme la mauvaise herbe, qui pousse partout et en tout temps ; c'est une race maudite, qui a commencé avec le monde, et ne finira qu'avec lui.
Or, parmi les fiers barons de Guillaume, il y en avait un, âme perverse, vrai fils de Judas, qui répondit à ses bienfaits par l'ingratitude la plus noire.
C'était l'intendant du roi qui avait placé toute sa confiance en lui, et l'avait comblé de richesses. Honneurs, terres et châteaux, puissance, rien ne manquait à ses désirs ; mais ses désirs montaient plus haut encore. Il se nommait Grimoult. Que la malédiction s'attache à son nom et le flétrisse à jamais, car c'est celui d'un traître !
La reine était aussi avenante au regard que la rose fraîchement éclose ; le baron en fut énamouré ; il osa lever les yeux sur sa souveraine, la femme de son bienfaiteur. Mathilde avait l'âme aussi pure que la pure lumière du ciel, et les hommages du baron furent méprisés. Une rage affreuse s'alluma dans le coeur de Grimoult, son amour se retourna en haine, et il résolut de perdre Mathilde, autant pour satisfaire sa vengeance que pour se mettre à l'abri des révélations de l'épouse outragée.
Et Guillaume abusé à son retour par ses faux rapports, crut que la reine avait manqué à ses devoirs d'épouse chrétienne, et dans la terrible colère qui s'alluma dans son âme il refusa d'écouter aucune parole de justification. Il aima mieux ajouter foi aux apparences mensongères qu'aux larmes, aux protestations de sa femme, et il commanda de la mettre à mort. Tous les coeurs furent frappés de crainte et d'horreur : nulle voix n'osa s'élever en faveur de Mathilde.
D'aucuns disent, est-ce possible, grand Dieu ! que dans sa fureur il la traîna au travers des rues de la ville de Caen attachée par ses longs cheveux blonds à la queue d'une cavale, et que la Rue Froide témoigne encore par son nom des frissons de la pauvre victime.
Écoutez ce que dit la chanson :
Quand est arrivé sur la place
L'gros roi Guillemot attendait
Tout près d's'en aller en chasse
Son noir genêt qu'on habillait.
Au genêt par trois noeuds il l'attache.
Et ses mains par trois noeuds aussi.
Partout où avec elle il passe,
Les mouches vont boire après lui.
Sire ! c'est pitié qu'à la mal'heure,
Ai rougi l'gazon du chemin
Avec mon pauvre sang qui pleure
D'couler sans vous servir à ren.
Fou de douleur, le coeur navré par le repentir et la honte, le roi pleura longtemps ; il se reprocha amèrement d'avoir si cruellement meurtri ce joli corps, où battait un coeur fidèle. Il demanda pardon à celle qu'il avait offensée, pardon à Dieu.
Fou de colère, il jura par la splendeur du ciel de n'avoir repos ni trêve qu'il n'eût tiré vengeance du traître qui l'avait abusé.
Malheur ! malheur à lui ! la punition est prochaine ! et la punition sera implacable, car elle est aux mains du terrible Roi Guillemot.
Voyez-vous là-bas, sur la route poudreuse, ce cavalier qui fuit éperdu, de toute la vitesse de son cheval, vers le Pays de bas ?
Ce cavalier c'est le traître, c'est Grimoult qui regagne son repaire comme le renard sa tanière, et va y cacher son crime et sa honte, se dérober au châtiment mérité.
Et l'âpre poursuite recommence, et les cavaliers s'élançant sur les traces se perdent dans l'obscurité.
Comme il est beau, qu'il est doux le ciel étoilé, quand le croissant argenté apparaît à l'horizon, enveloppant amoureusement la terre de ses molles et vaporeuses clartés. Tous les bruits du jour se sont éteints peu à peu et l'haleine embaumée des vents semble la calme respiration de la terre endormie. C'est l'heure silencieuse où les feuilles se taisent dans la nuit naissante, où tout est paix et recueillement, où l'âme apaisée s'élance vers son créateur.
Mais écoutez ces clameurs d'une joie farouche venant troubler le repos solennel de la nuit, ces cris de triomphe, véritables rugissements de bêtes fauves !
C'est qu'il ne court plus le félon ! il vient de tomber aux mains de celui qu'il a si cruellement trahi.
Après rude chasse et bruyant hallali, la curée ; car ce fut chaude et terrible curée, telle que jamais on n'en vit pareille.
Grimoult est étroitement lié au tronc d'un chêne, et c'est en vain qu'il confesse son crime, en vain qu'il crie merci, implore la pitié. Il n'y a pour lui pitié, merci, ni répit. Il est condamné ; la justice sanglante va s'accomplir à l'heure même.
Tous les bruits s'étaient de nouveau apaisés dans la nuit sereine, lorsque soudain un long cri d'angoisse, aigu, prolongé, glaçant de terreur, alla réveiller au loin les campagnes endormies. Puis ce furent des plaintes déchirantes, des prières désespérées, suivies d'imprécations et de blasphèmes.
Et la lune paisible éclaira de ses tendres et vaporeuses clartés une scène d'horreur que la nuit eût dû ensevelir dans ses plus ténébreuses profondeurs.
Un homme debout, les bras retroussés, un couteau de bois à la main, (8) car le tranchant de l'acier eut été trop doux pour le condamné, un homme écorchait vif le misérable qui se tordait de douleur dans ses liens serrés ; et la peau tombait de ses membres rougis comme un linge trempé dans du sang.
Rouge était le couteau de bois, rouges aussi les mains, les bras et les vêtements du bourreau, et sous les rayons de l'astre nocturne l'herbe scintillait d'une rosée vermeille... Assez ! La langue se refuse à raconter ce qu'alors virent les yeux, et rien qu'à y penser le coeur frémit de dégoût et d'horreur.
Le crime de Grimoult demandait vengeance, mais trop féroce fut la vengeance ; pourtant elle ne put assouvir le courroux de Guillaume.
Dépouillé de sa peau, et le corps nu, Grimoult, vivant encore, et endurant encore son affreux martyre, fut tiré à quatre chevaux. Ses membres dispersés devinrent à l'aube la proie des bêtes sauvages, et son coeur, arraché tout chaud de sa poitrine, et attaché aux branches d'un chêne, servit de pâture aux corbeaux. Chose plus horrible s'il se peut, la peau du misérable servit de sanglant trophée à Guillaume. Jetée sur le dos de son cheval, elle servit de housse à la selle durant son retour.
Telle est la légende du Marsyas Normand. Guillaume avait puni un crime autrement grave que celui du Phrygien victime d'Apollon. Cependant le repentir le prit, et plus tard il fit élever une chapelle sur la bruyère qui avait vu accomplir l'atroce supplice ; comme la bruyère elle porta le nom du Corps-Nu ; et la source dont l'eau, pure jadis, servit à laver les mains et les bras souillés de sang du bourreau devint le ruisseau de Mains-Sales. (11)
(10)* La Chapelle du Corps-Nu, sur la commune de Montchauvet, est en ruines et on trouve deux hameaux avec ce nom (la Chapelle au Cornu et le Cornu) sur la bruyère à l'intersection des communes de Lassy, Montchauvet, Estry et Montchamp.
(11)* Aujourd'hui le ruisseau des Mains Sales s'appelle le Halgré et se jette dans la Druance à St-Jean-le-Blanc.
Guillaume-le-Conquérant, né vers 1028 à Falaise, décédé à Rouen le 09/09/1087 après une blessure à la bataille de Mantes. Guillaume dit "le Bâtard" devient, en 1035, Guillaume II duc de Normandie, après la mort de son père Robert-le-Magnifique. La minorité de Guillaume est marquée par la rébellion des grands seigneurs du duché. Ayant échappé à plusieurs reprises à ses assassins, le jeune duc réussit, en août 1047 à Val-ès-Dunes, avec l'aide du roi de France à écraser l'armée des seigneurs révoltés. En 1066, il devient Guillaume Ier roi d'Angleterre.
Mathilde-de-Flandres, née vers 1032, décédée à Caen en 1083, le 1er novembre "à prime", comme indiqué sur son tombeau. Elle épouse Guillaume II vers 1050 à Eu.
Grimoult-du-Plessis, mercenaire d'origine germanique avait reçu de l'évêché de Bayeux le château du Plessis-Grimoult. Ayant pris part à la révolte des barons contre Guillaume-le-Conquérant, il fait partie des vaincus de la bataille de Val-ès-Dunes, en 1047. Fait prisonnier, il meurt à Rouen, sans doute exécuté. Son château est démantelé, son domaine est confisqué et retourne entre les mains des évêques de Bayeux.
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