La montagne Niçoise était totalement dépourvue de voies carrossables permettant d’accéder aux grands massifs forestiers dont l’exploitation constituait une importante source de revenus pour les communautés.
Toutefois le Var, la Tinée, la Vésubie, l’Estéron et la Roya ont été jusqu’au XIXe siècle de précieux auxiliaires pour le transport du bois jusqu’à la côte où on l’employait abondamment pour de multiples usages notamment dans la construction navale. Les grands arbres élancés servaient aux mâtures et le mélèze se prêtait remarquablement à la construction de digues et de pilotis pour les ports. L’Arsenal de Toulon utilisait les bois des forêts du Boréon pour construire certains navires qui participèrent, sous Louis XVI, à la Guerre d'Indépendance des États Unis.
Saint-Laurent-du-Var, placé sur l'estuaire du fleuve, se trouvait au centre de cette activité économique prospère.
À partir de 1490, à la fin de l'hiver, lorsque le fleuve grossissait, il permettait le transport de bois de coupe sur radeaux depuis les montagnes vers la basse vallée du Var. Le flottage était le seul moyen possible pour acheminer vers la côte les bois coupés dans les forêts du haut-pays. Ce commerce a perduré jusqu'au milieu du XIXe.
L’extraction était extrêmement difficile car, avant de rejoindre les cours d’eau flottables, il fallait conduire les troncs par des chemins de tire à flanc de montagne, traînés par des bœufs lorsque la configuration du terrain le permettait, ou les lancer au moyen de glissoirs jusqu’au bord des torrents. Ils poursuivaient leur trajet dans des chenaux de descente. On construisaient des barrages de pierres et de branches pour constituer des retenues d’eau sur lesquelles flottaient les billots avant de procéder à la rupture du barrage, précipitant les rondins avec l’eau qui s’engouffrait dans la brèche.
Afin d’en faciliter l’écoulement on réduisait souvent leur longueur à 2 m ce qui leur faisait perdre de la valeur. Beaucoup en outre se brisaient ou se perdaient.
Aussi pratiquait-on cette opération généralement entre mai et septembre. Les hommes chargés de guider et de contrôler le flottage suivaient sur les rives avec de grandes perches pour empêcher les bûches de s’échouer et les remettre dans le courant. Il fallait surtout éviter des dégâts aux berges et aux piles des ponts ou que des accumulations se fassent dans des gorges en bloquant le passage.
Les bois, longs de 2 jusqu’à 40 m lorsqu’ils s’agissaient d’approvisionner la Marine en mâts, étaient en suite rassemblés au niveau de Bonson, au débouché des clues de la Mescla pour être conduits en radeaux sur le cours inférieur du Var jusqu’à Saint-Laurent.
Pour constituer le train de flottage, les radeliers assemblaient les troncs entre eux avec des fers.
Le flottage donnait lieu à la perception de droits dont était bénéficiaire le marquis de Cagnes au XVIIe siècle.
Mais l’État entendait aussi tirer profit d’un important trafic et, en 1759, lors des négociations avec les États Sardes pour la rectification de la frontière sur le Var, la cour de France prétendait exiger 10 % de la valeur des bois descendus par le fleuve outre celui de 2,5 % perçu par le marquis de Cagnes.
Le passage dans les territoires de l’un et l’autre des états était d’ailleurs l’objet de litiges, ainsi en 1662 lorsque les entrepreneurs chargés de couper des bois en Haute-Provence entre Le Fugeret et Méailles pour l’approvisionnement de l’arsenal de Toulon se permirent, sans autorisation des autorités sardes, de rompre les rochers et grosses pierres qui étaient dans le lit du Var et pouvaient empêcher la navigation et la descente des bois.
Les principaux conflits concernaient la basse vallée du Var. En 1771 Joseph de Bernardi qui avait fait une coupe dans les forêts de Villars et de Massoins fut accusé d’avoir laissé 160 pièces de pins divaguer au fil de l’eau causant la rupture de digues à Saint-Laurent. Selon un rapport, les digues ont été emportées par le choc d’une quantité innombrable de bois de construction, consistant en radeaux, billons et poutres détachées, que les négociants de Nice font flotter sur le Var au gré des eaux et sans conducteur pour le compte de sa Majesté le roi de Sardaigne aux différentes époques des crues arrivées les 13-16 septembre et les 22-23 octobre et encore le 2-6 novembre derniers.
D’autres accrochages se produisaient à propos des bois que les habitants des communes françaises bordant le fleuve avaient l’habitude de s’approprier lorsque des crues les emportaient sur leur rive comme ce fut le cas au Broc en 1716 et donna lieu à 4 ans de procès avec un marchand niçois. Les habitants du Broc eurent gain de cause s’appuyant sur des lettres patentes du roi René du 17 novembre 1442 leur octroyant ce privilège dès lors que les bois n’étaient pas conduits en radeau.
Des ouvriers expérimentés devaient être recrutés pour la conduite des bois et le passage à chaque ouvrage d’art devait être surveillé par deux hommes en station.
Cette exploitation revêtait deux aspects :
- Le grand flottage à tronces perdues. Toutes espèces de bois (sauf le chêne trop lourd et le hêtre trop fragile) de toutes dimensions qui, mises à l'eau dans le haut Boréon, le vallon de Fenestre ou descendues du massif du Tournairet, finissaient par arriver aux bouches du Var après des pertes : dues aux troncs brisés par le roc et à des « prélèvements » par certains riverains. Les mises à l'eau avaient lieu à la fonte des neiges et aux fortes pluies d'automne.
- Le petit flottage. Ce flottage concernait des billots courts, de 8 à 10 pans de long (1 pan = 26 cm) qui bondissaient dans le haut Boréon, puis la Vésubie, rendus flottables quelques jours seulement à l'automne, au printemps ou à l'occasion de fortes pluies.
Ce trafic utilisait, en outre, des crues artificielles provoquées par la brusque ouverture d'un barrage de retenue constitué lui-même de billes de bois. L'un de ces barrages fut créé, par exemple, au lieu-dit la Peira Streccia. Un autre aussi était formé à l'actuel lac du Boréon précédant la cascade.
Les pertes étaient importantes 100 arbres perdus pour 1 000 abattus. Et cela, malgré des correspondants qui, en cours de trajet, remettaient en eau les billots bloqués mais qui, aussi, procédaient à quelques prélèvements.
Des bouches du Var, les troncs rescapés étaient dirigées
- Soit toujours par flottage sur Nice, Vintimille et Toulon.
- Soit exploité par des scieries installées le long du var.
Le flottage du bois, né de l'abattage de plus de 300.000 arbres de haute futaie, fit naître toute une industrie sur les bords du Var.
Les bois coupés, devaient être convoyés à destination, à l’embouchure du Var et seul le flottage permetait ce transport. Faute de voies carrossables, ce mode de transport fut longtemps utilisé. C'était en effet l'unique méthode possible et rentable dans une région ou la première voie carrossable, ne fut accessible à des véhicules à roues que dans la seconde moitié du XVIe siècle.
Il fallut attendre une période postérieure à l'annexion a la France en 1860, avec l’endiguement de la basse vallée du Var et la construction de la route impériale n°5, reliant Nice à Barcelonnette, pour que le désenclavement des hautes vallées du var devienne une réalité.
Ce n'est qu'une petite décennie avant la Grande Guerre que des pistes, puis des routes empierrées et enfin goudronnées, permirent le transport des bois et sonnèrent le glas du flottage du bois sur le Var. Celui-ci avait alors vécu.