La création de l' Aéro-Club de
l'Oise
C'est le 28 janvier
1931 qu'est fondée l'Aéro-Club de l'Oise. Le siège social se situe
23, place de l'Hôtel-de-Ville à Compiègne. Les membres fondateurs
sont au nombre de 43. Ce sont, en grande partie, des hommes jeunes
ou dans la force de l'âge, habitant Compiègne et ses environs, tous
férus d'aviation. Certains sont aussi des passionnées des sports
mécaniques comme les frères Dusanter. D'autres sont garagistes
comme Gaston Génart et Pierre Coquerel à Compiègne ou encore G.
Bouzinart qui tient le «Grand garage Saint Christophe » à Noyon. On
retrouve également un certain nombre d'hommes exerçant une
profession libérale (architecte, expert-comptable, assureur, avoué
... ), des commerçants ou encore des industriels. Parmi les
fondateurs, aucun agriculteur, aucun ouvrier et... aucune femme.
Les passionnés de l'aviation se recrutent dans un milieu masculin
et citadin, jouissant de bons revenus, ce qui n'a rien d'étonnant,
la pratique de l'aéronautique étant onéreuse et hors de portée des
bourses modestes des classes populaires de la société
d'alors:
Néanmoins, leur projet
est tout d'abord accueilli avec amusement et scepticisme par la
bourgeoisie locale de cette ville provinciale qu'est alors
Compiègne. Les élites y pratiquent davantage l'équitation,
l'escrime et le golf. Le soutien moral de personnalités comme le
colonel Sutterlin et le soutien matériel d'un industriel comme
Gaston Benoit vont apporter une caution déterminante à une activité
encore toute nouvelle.
La pratique de l'aviation
n'est pourtant pas tout à fait une nouveauté pour les Compiègnois.
Avant la guerre de 1914-1918, ils s'étaient déplacés en masse pour
applaudir le premier meeting aérien organisé par «La Société
d'aviation de Compiègne » sur le terrain sommairement aménagé près
de la ferme de Corbeaulieu. On y voyait Védrines, Blériot, Hanriot ou encore
Legagneux évoluer sur des appareils dont ils étaient, pour
certains, à la fois les concepteurs et les pilotes d'essais. Une
carte postale immortalisait Legagneux posant avant de prendre « son
vol pour doubler le premier l'Hôtel-de- Ville de Compiègne » Temps
héroïques des «Faucheurs de marguerites » ! C'est là qu'un jeune
homme, emmené en moto par un camarade, volait clandestinement pour
la première fois grâce à la complicité d'un pilote qui n'avait pas
encore son brevet. Ce jeune homme, c'était Georges Guynemer qui
aura l'extraordinaire et brève destinée que l'on sait.
Le souvenir de ces
Pionniers de l'aviation, les exploits de Guynemer et la présence de
nombreux terrains d'aviation militaire dans la région pendant ce
conflit ne sont évidemment pas étrangers à cet
engouement.
Qui plus est, l'aviation
est à la mode: en 1927, Charles Lindbergh réussit le premier vol
transatlantique New York-Paris sans escale en 33 heures 30 minutes
sur le «Spirit of Saint Louis » Trois ans plus tard, Costes et
Bellonte parcourent la même distance en sens inverse, affrontant
les vents dominants, sur un Bréguet 19, le fameux «Point
d'Interrogation )}
Cependant, en 1930, le
nombre d'avions appartenant à des propriétaires privés n'est que
d'une trentaine d'unités. L'État voulant développer « l'esprit
aviateur » va apporter une aide financière, non négligeable,
puisque tout achat d'appareil privé se voit subventionner à hauteur
de 40 %. Effet immédiat, les ventes augmentent. De 1930 à 1932, 480
avions bénéficient de cette prime. Cette politique de l'État
favorable à l'aviation civile va entraîner un développement sans
précédent des aéroclubs.
A l'exemple de
l'automobile, l'aviation suscite l'enthousiasme non seulement de
ceux, en petit nombre, qui peuvent s'offrir des cours de pilotage
(voire un avion) mais aussi de l'ensemble de la population. Comme
l'automobile, l'aviation est un sport spectaculaire et, à l'époque,
un sport extrême. Bien que les appareils aient bénéficiés de
nouveaux perfectionnements techniques (la Grande Guerre a obligé
les ingénieurs à l'innovation) les accidents ne sont pas rares. Une
des ambitions des associations de type aéro-club sera d'ailleurs de
montrer que la pratique de l'aviation est sans danger.
Populariser la pratique de l'aviation
Quels sont les buts de
l'Aéro-Club de l'Oise (en abrégé: l'Aé.C.O.)? Tout d'abord
rassembler les personnes qui veulent pratiquer l'aviation dans la
région. Les adhérents versent une cotisation et donnent
bénévolement de leur temps. Créer une école de pilotage pour
breveter des élèves. Permettre aux pilotes déjà brevetés (soit
militaires, soit civils) de reprendre l'entraînement pour ne pas
perdre la main. Offrir en toute sécurité des baptêmes de l'air aux
personnes de la région qui le désirent, quasiment à domicile (les
appareils et les terrains sont encore rarissimes). Ouvrir un cours
d'élèves mécaniciens permettant d'effectuer son service militaire
dans l'aviation ou encore se préparer à ce métier. Globalement,
l'Aé. C.O., plutôt constituée de personnes «à l'aise»
financièrement, se propose de populariser l'aviation sous toutes
ses formes dans le Compiègnois.
La société créée, restait
le plus difficile : trouver un terrain assez vaste, susceptible
d'accueillir les
évolutions des appareils, situé à proximité immédiate de Compiègne.
Des démarches auprès des différents services officiels ou
administratifs (Autorité militaire, Aéronautique marchande,
Chambres de commerce ou Municipalités) n'aboutissent pas. Les uns
et les autres soupçonnent les aviateurs de« vouloir épater la
galerie» et d'utiliser cotisations et subventions «pour payer la
casse» Une personne va leur faire confiance: Gaston Benoit,
actionnaire et directeur de la sucrerie de Francières. Il va mettre
à la disposition de la jeune société un terrain près
d'Estrées-Saint-Denis. Certes, le champ d'aviation est à une
douzaine de kilomètres de la Ville impériale, ce qui n'est pas sans
poser quelques problèmes de logistique, mais les conditions de la
location sont très avantageuses pour la jeune
association.
Le terrain trouvé, une
astucieuse campagne de presse auprès des journaux locaux et
l'activation des réseaux de relations des membres fondateurs va
faire vite connaître les activités de l'Aéro-Club de l'Oise qui,
avec l' Aéro-Club du Beauvaisis, sont les seules associations de ce
type dans le département.
Le terrain
d'Estrées-Saint-Denis
Situé le long de la
départementale 36, sur le territoire de Remy, non loin de
Francières et tout près d'Estrées-Saint-Denis, il est inauguré le
jeudi 25 mai 1933, jour de l'Ascension, un bon présage pour les
aviateurs. Ce jour-là, en dépit d'un vent violent, 24 baptêmes de
l'air sont donnés par le chef pilote Robert Guérin et Louis Berger
(pilote de l' Aéro-Club de l'O.) Louis Prache et Bernard Dusanter
venant de Beauvais sur leur Potez atterrissent sur le terrain de
l'Aéro-Club. Le week-end suivant, 32 baptêmes de l'air sont encore
donnés. Ces initiatives remportent un succès populaire. On peut
lire ces lignes dans la presse locale: " Tous les passagers de ces
jours derniers, depuis cette respectable dame de 86 ans jusqu'au
bambin de 4 ans qui ne voulait plus descendre, promirent de revenir
bientôt goûter les joies de l'air. " Bientôt, deux hangars abritent deux
avions: un biplace Potez 36 (moteur Renault 95 CV) appartenant à
l'Aéro-Club de l'Oise et un triplace Potez 43 (100 CV) propriété de
Louis Dusanter.
Les activités de l'
Aéro-Club ne se limitent pas aux baptêmes et promenades,
conformément aux buts que se sont donnés les membres fondateurs, un
cours de mécaniciens est organisé. Grâce à cette formation, les
jeunes participants peuvent envisager d'accomplir leur service
militaire dans l'aviation .. Un cours d'élèves pilotes permet de
faire passer à plusieurs candidats le brevet de pilote de tourisme.
Parmi les premiers élèves reçus: Louis Dusanter qui réussit
l'épreuve sur le terrain d'Estrées ainsi que son frère Bernard et
Jean Huguet qui obtiennent leur brevet sur le terrain de
Beauvais.
Que la fête commence!
Au matin du 27 août
1933, le temps est superbe. Une belle journée s'annonce. Dès neuf
heures, les premiers avions se posent sur le terrain de Francières
: Potez 36 et Potez 43 de l' Aéro-Club, Caudron 60 de Rhins, Raab
piloté par Rouland, Caudron "Luciole" piloté par le Baron de
Foucaucourt accompagné de son épouse en provenance d'Amiens, Potez
36 de Marest (et Madame) venant de Meaux, Hanriot 14 de Bouzinard
de Noyon, Potez 36 de l' Aéro-Club du Beauvaisis... A onze heures
trente, les avions survolent en vol de groupe dans un ensemble
parfait Compiègne et ses environs puis retournent se poser sur le
terrain de Francières.
A midi, en présence de M.
Benoit, de M. Valette, du colonel Sutterlin, président des membres
du comité, de MM. Guérin, Berger et Dusanter et d'une nombreuse
assemblée, le curé de Francières baptise l'avion Potez 36
immatriculé F.A.J.U.P. et surnommé le " Rouge gorge» (en rapport
avec la couleur de l'appareil !). Mme Benoit, marraine de l'avion,
brise la traditionnelle bouteille de Champagne sur l'hélice sous
les applaudissements de la foule. Le colonel Sutterlin et Louis
Dusanter remercient M. Benoit pour sa participation "au
développement de l'aviation dans la région» et "son dévouement et
sa générosité envers l' Aéro-Club de l'Oise» Après ces discours,
par petits groupes, les invités se rendent sous un hangar de la
sucrerie pour pique-niquer.
Quand le meeting
commence, cinq mille personnes sont présentes. De nombreuses
personnalités parmi lesquelles, M. Rousselot, sous préfet de
Compiègne, le marquis de l'Aigle, député, M. Belloy, maire
d'Estrées ainsi que plusieurs maires et élus de la région sont
aussi venus assister à cette importante manifestation
aérienne.
Le service d'ordre est
assuré par la gendarmerie sous les ordres du capitaine de la
brigade de Clermont. M. Thiret, chef du secteur de la coopérative
électrique, a fait installer gracieusement un haut-parleur pour
permettre au speaker de présenter les aviateurs et de commenter
leurs exploits.
En plus des acrobaties
annoncées au programme et dont certaines mettent les nerfs des
spectateurs à rudes épreuves~, une vingtaine d'avions de tourisme
se livre à une course relais avec arrivée sur le terrain de
Francières. Ils reçoivent pour récompense trente-cinq litres de
carburant offerts gracieusement par les organisateurs.
Est-ce à ce meeting de
Francières que le "Pou-du-Ciel» de l'inventeur Henri Mignet fait
une première apparition? Nous ne pouvons l'affirmer. Cependant, une
lettre de décembre 1934 incline à répondre par
l'affirmative.
Au terme de la journée,
on ne déplore aucun accident, ni même incident. Les organisateurs
se retrouvent le soir pour Jeter le succès de cette journée.
Joyeuses libations si l'on en croit un journal qui rapporte que au
moment de la séparation, en raison de la chaleur sans doute, l'air
n'était plus très porteur et les pilotes donnaient exagérément du
palonnier !
Le 10 septembre, revenus
de leurs " émotions », les membres actifs de l' Aéro-Club
organisent une nouvelle manifestation aérienne à Lassigny. Les deux
appareils de l'association s'envolent d'Estrées pour se poser sur
un terrain provisoire, emportés quelques dizaines de personnes dans
les airs avant de s'en retourner vers leur terrain d'origine avant
que la nuit ne tombe. En effet, ni les appareils, ni le terrain ne
sont équipés pour des vols de nuit.
L'année 1934 : l'Aé.C.O. en plein
essor
Grâce au bulletin mensuel
de l'aéroclub de l'Oise «L' Aé.C.O., rédigé par Huguet et Dusanter,
qui commence à paraître en 1934, nous pouvons nous faire une idée
assez précise des activités de l'association.
Lors de l'assemblée
générale de janvier 1934, le compte-rendu moral du secrétaire
général Alex Berger rappelle que « Parti de zéro, nous avons
terrain, hangar, avion, auquel sont venus s'ajouter un autre hangar
et un Potez 43 à M. Louis Dusanter» Un cours technique suivi par 15
élèves a été ouvert. Les deux Potez ont parcouru plus de 17 000
kilomètres, emmenant 535 passagers. Soutenu par les collectivités,
commerçants et particuliers, les finances sont saines. Les
activités de l'Aé.C.O. vont pouvoir se développer.
De mars à septembre 1934,
des journées de «propagande aérienne» sont organisées à Tricot (22
avril), Nampcel (14 juin), Verberie (8 juillet) terrain prêté par
M. Péters, Frestoy-Vaux (15 juillet), Ressons-sur-Matz 18 août),
Choisy-au-Bac (9 septembre), Croutoy, Lacroix-Saint-Ouen et
Crépy-en-Valois. Au cours de ces journées, environ 1 500 personnes
prennent le baptême de l'air pilotés par Guérin Louis Dusanter,
Huguet auxquels se joignent parfois Prache et Serre de Beauvais.
Les appareils sont entretenus bénévolement par Angelin, Génart,
Coquerel renforcés par Lécrivain et Gougelet. D'autres membres
aident à la gestion de l'association et à l'organisation des
meetings aériens.
Sur le terrain d'Estrées,
cinq appareils constituent l'effectif de l'Aé.C.O. Le Potez 36,
premier appareil du club, a été vendu. Un triplace Potez 58 a été
acquis, un Hanriot 32 donné par la Fédération pour l'entraînement
et un Potez 60 sera bientôt acheté pour remplacer le Potez 36. A
ces trois
appareils, s'ajoutent les Potez 43 et 38 propriétés de Louis et
Bernard Dusanter.
L' Aéro-Club dispense des
cours gratuits de mécanique. La municipalité Compiègnoises met à
disposition de l'association la salle de l'ancienne poste. Trente
jeunes écoutent les cours théoriques de Pierre Coquerel. Ils se
rendent ensuite à un cours pratique dispensé dans un hangar qui se
trouve route de Soissons, près du cimetière du Nord. où se trouve
un avion Bréguet. Là, Pierre Coquerel est secondé par Gaston Génart
et Léon Ancelin, deux autres membres fondateurs de
l'Aé.C.O.
Un cours d'élève
télégraphiste est également organisé par le sergent De Conninck de
la 52ème demi-brigade d'aérostation. Pour les motiver, les élèves
peuvent voler régulièrement dans l'avion de Louis Dusanter. Cette
école est agrée par le Ministère. Une conférence faite au
Nouveau-Théâtre à Compiègne sur la Croisière Vuillemin remporte un
grand succès puisque l'on doit refuser des places.
Un nouvel organisme le
G.A.O. (Groupement des Aéro-Clubs) présidé par J. Loisel (Président
de la Chambre de Commerce) regroupe les deux aéro-clubs de l'Oise,
celui de Beauvais et celui de Compiègne. Cette structure, créée à
l'instigation du préfet de l'Oise Bussières, lui-même aviateur, ne
durera pas et les deux sociétés reprendront leur
autonomie.
L'année 1935 : l'achat du Potez 60
En 1935, le Comité
lance un appel pour « baptiser les appareils du club» aux lecteurs
de son bulletin. Il rappelle «que le 58 est bleu et gris, l'Hanriot
gris vert comme les avions militaires, et le futur [Potez] 60,
rouge. Toute proposition de fétiche à peindre sur le fuselage sera
également reçue avec plaisir ». Néanmoins, il n'est pas question de
trouver n'importe quel nom de baptême, les aviateurs sont
superstitieux : «Espérons qu'il s'agira de noms porte-bonheur, car
nous avions un ami qui le soir de la réception de son appareil,
s'appliquait à peindre artistiquement le nom charmant de « Pile ou
Face» Le lendemain, il se mettait sur le dos en atterrissant.
Avouez que le nom est quelquefois prédestiné. »
Louis Dusanter qui désire
passer son brevet de moniteur multiplie les déplacements sur son
Potez 43 pour totaliser les 200 heures nécessaires à l'obtention de
son diplôme. Voici quelques extraits de son carnet de bord: «Le
21/1/35, Saint-Quentin, en compagnie de Guérin, voyage délicieux
sur la campagne couverte de neige. Aux beaux jours (ou supposés tels)1O
les journées de propagande reprennent. Les appareils de l' Aéroclub
se rendent à La Neuville-Roy (le 28 mars), à Tricot (23 juin), à
Attichy (7 juillet), à Pierrefonds (28 juillet) et à Pontpoint (4
août) les trois appareils atterrissent sur un terrain appartenant à
M. Mastelinck, une centaine de baptêmes sont donnés. Le 18 août, à
Choisy-la-Victoire, le Potez 58 (pilote Guérin) rejoint le Caudron
Phalène (pilote Prache) Le maire de la commune, M. Dupressoir
assure la réussite de cette journée en fournissant le terrain, en
le faisant aménager et invite les aviateurs et leur entourage à sa
table. Au cours de l'après-midi, 80 baptêmes de l'air sont donnés.
Margnyles-Compiègne (8 septembre), Guiscard (22 septembre) et
Crépy-en-Valois (6 octobre) clôturent les déplacements de l'année
1935.
Le terrain d'Estrées
reçoit la visite d'avions étrangers. Avions qui arrivent parfois
par voie ... terrestre comme le «Pou-du-Ciel» construit par Coupé
et Lasne, remorqué par une voiture pour faire «des lignes droites»
sans décoller puisque les ingénieux constructeurs ne possèdent pas
(encore) de brevet de pilote. Le «Pou-du-Ciel» finira par décoller
(piloté par une tierce personne), à Verneuil-en-Halatte d'abord,
puis une quinzaine plus tard, voler de ses propres ailes jusqu'au
terrain d'Estrées. Malheureusement une avarie à l'atterrissage lui
fera faire le voyage retour ... en remorque. D'autres appareils
plus sérieux font escale à Estrées: visites amicales, étapes vers
une destination plus lointaine, pannes ou encore contraints de se
poser par la nuit tombante car ces avions de tourisme ne peuvent
pas voler la nuit. Parfois, les membres de l' Aéro-Club ont le
plaisir d'accueillir une figure historique de l'aéronautique en la
personne de M. Farman (et Madame) venus visiter la clairière de
l'Armistice par
pluie et brume. Le 17/2/35, Beauvais, avec Mlle Hénon et Lécrivain,
qui goûtent le spectacle d'une mer de nuages vue à 1 500 mètres. Le
24/2/35, le vent violent ne permet qu'une demi-heure de vol sur la
région en compagnie de Wilhélem. Le 5/3/35 Méaulte avec Gougelet
pour la visite Veritas. Le 12/3/35, Méaulte à Estrées et
l'après-midi vol sur Compiègne avec M. Dubé et son beau-frère. Le
13/3/35, essai sur le terrain avec Coquerel. Ce même jour, M.
Carpentier, de Roye, vient nous rendre visite sur son Potez 36 et
un Potez 25 militaire se pose également sur notre terrain. Le
17/3/35, Saint-Quentin et Méaulte en compagnie de Héra.
»
Le 6 mars 1935, le pilote
Le tierce vient présenter le nouveau Potez 60. Devant une
quarantaine de personnes et les journalistes locaux, il exécute
«une démonstration de décollage, de vitesse, de ralenti et
d'atterrissage, suivie d'une petite séance d'acrobatie.» L'appareil
est ensuite essayé en compagnie de Guérin, L. Dusanter et
Ancelin.
Le Potez 60 que se
propose d'acquérir le club coûte 17000 Fr. « C'est un monoplan
torpédo à aile haute, biplace en tandem. Sa construction,
entièrement en bois, légère, mais solide, a permis, en l'équipant
d'un 60 chevaux, trois cylindres en Y, d'obtenir des avantages très
appréciables en ce qui concerne le prix d'entretien, de réparations
et d'utilisation, grâce à une consommation d'essence réduite (de 15
à 17 litres à l'heure) Sa stabilité est égale à celle des modèles
précédents, mais la finesse a été augmentée et permet à cet
appareil les performances suivantes: écart de vitesse variant de 60
à 145 km/h; plafond, 3 500 mètres; trajet en ligne droite par vent
nul, 700 kilomètres.» Le 23 mai, le chef-pilote Guérin en prend
livraison à Méaulte et le ramène en compagnie d'Ancelin. Le voyage
s'effectue par très mauvais temps mais l'appareil se comporte
bien.
Il est
nécessaire d'avoir un terrain sûr et facile d'accès, un terrain aux
portes mêmes de la ville. Tous les amis de l'aviation viendront à
nous, et ceux de l'extérieur qui viennent en descendant du ciel ne
seront plus rebutés par un atterrissage leur donnant l'impression
de tomber en plein désert.». La question de la création d'un
aérodrome à proximité de la ville devient cruciale pour le
développement, et même la survie, de l'Aé.C.O.
L'année 1938 : le ciel se
couvre
La municipalité de
Compiègne semble bien partagée sur la création d'un terrain. En
1935, le projet d'un aérodrome mixte, utilisé par les civils et les
militaires avec la participation financière de l'Etat, était évalué
à un coût de 535 000 francs, la ville s'engageant à verser une
subvention de 250 000 francs; conséquence de la crise économique
qui sévit dans le pays, en 1938, l'évaluation est passée à près
d'un million. Pour obtenir son terrain, la ville doit augmenter sa
participation, même si elle a reçu l'engagement de l'Aé.C.O. de
payer les frais de fonctionnement. Elus partisans (certains sont
membres de l'Aé.C.O.) et adversaires vont s'affronter au cours
d'une longue discussion à laquelle le journaliste du Progrès de
l'Oise, lui-même, avoue ne pas avoir toujours saisi les arguments
des uns et des autres. Le Progrès de l'Oise titre dans son édition
du 2 mars 1938 : «La question de l'aérodrome de Compiègne: après un
long, parfois confus, le conseil municipal par 12 voix contre 8 et
1 abstention décide d'ajourner le projet tant que les ressources
manquantes n'auront pas été trouvées en dehors du budget». Une
polémique s'ensuit dans la presse.
Il faudra pourtant
attendre plus d'une décennie pour que l'aérodrome de
CompiègneMargny, situé le long de la départementale 935, soit une
réalité. Si en décembre 1936, la déclaration d'utilité publique a
été publiée, les travaux ne se termineront qu'en 1939. A partir de
1940, l'aérodrome est réaménagé et utilisé par la Luftwaffe, puis
en 1944, par l'aviation américaine.
Le pessimisme est de mise
lors de l'assemblée générale du 15 janvier 1939. Elle rend, tout
d'abord, un hommage au chef pilote Guérin décédé en 1938. Avec lui,
disparaît une figure historique de l'Aé.C.O., formateur de tant
d'élèves.
Le prix des avions est
devenu « inabordable ». Le coût de l'heure de vol prohibitif.
L'Aé.C.O. réclame des mesures d'aide de la part du gouvernement
comme par exemple un carburant défiscalisé. Les menaces d'une
nouvelle guerre semblent se préciser dont on sait, aujourd'hu~ le
rôle dramatique que tiendra l'aviation. Le vice-président Dubé
expose le fonctionnement· de « la garde aérienne civile anglaise»
qui rassemble des volontaires de 18 à 20 ans désirant s'initierà la
pratique de l'aviation. Ces jeunes peuvent préparer gratuitement le
brevet de pilote 1 er degré. En contrepartie, ils s'engagent à
effectuer leur service militaire dans la RAF (sans obligation
d'être navigant). La mise en pratique est assurée par
l'intermédiaire des aéro-clubs anglais subventionnés par l'Etat.
Ces « pilotes du dimanche» seront le réservoir où puisera la RAF
durant le début du prochain conflit et, notamment, pendant la
bataille d'Angleterre au second semestre de 1940.
Plusieurs meetings
aériens ont été organisés dans la région comme les années
précédentes.
Subventionnée par l'Etat,
la section d'aviation populaire prend de plus en plus le pas sur
l'aviation de tourisme: 194 séances d'instruction aérienne
totalisant 530 heures de vol ont permis la délivrance de 8 brevets
1er degré et 6 brevets 2éme degré. Au cours de mécanique s'ajoutent
des cours de navigation et de radio.
Le bureau pour l'année
1939 est toujours présidé par le colonel et vice-présidé par Dubé
et Dusanter. Le secrétariat général est assuré par Gaston Génart
(aidé de Cadie) Le trésorier général est Adde (aidé de
Cordier).
La guerre
La déclaration de
guerre et la mobilisation en septembre 1939 vont stopper les
activités de l'Aé.C.O.
Une compagnie de la Royal
Air Force (RAF) cantonne à Estrées et entreprend de poursuivre les
travaux d'aménagement du terrain de l'Aé.C.O .. Très disciplinés et
dotés d'un excellent moral, ils montent une garde vigilante. Leur
cuisine roulante étonne les Français par son utilité pratique et sa
propreté méticuleuse. Devant l'avance des troupes allemandes, ils
quittent Estrées le 4 juin 1940. Il semble que le terrain
accueillera encore des « avions estafettes»..
En 1941, le terrain
d'Estrées va connaître une activité clandestine. Dans la nuit du 1
er au 2 octobre, un avion Lysander piloté par Whippy
Nesbitt-Durfort de la R.A.F. atterrit et repart aussitôt, emportant
pour Londres un agent des services secrets polonais, Roman
Czerniawski (pseudonyme: Armand). Cette opération «Pickup » qui
consiste à atterrir et décoller dans un laps de temps très réduit
sur un terrain clandestin en France occupée, est organisée par le
Lieutenant Michel (Alexandre de Saint Phalle) du BCRA (Bureau
Central de renseignements et d'Action) et par le colonel Vautrin du
réseau Volta. Elle se renouvelle dans la nuit du 7 au 8 novembre:
deux passagers s'envolent pour l'Angleterre. D'autres opérations
«Pick-up» auront lieu dans la région jusqu'en 1944, mais elles
n'utiliseront plus le terrain situé le long de la route
départementale 936, probablement pour des raisons de
sécurité.
Les années d'après-guerre: l'abandon
du terrain d'Estrées
A près la guerre, l'
Aé. C. O. ne reprend ses activités qu'après deux ans d'efforts. La
totalité du matériel aéronautique a disparu dans la tourmente de la
guerre. Si le terrain mis à disposition par M. Benoit existe
encore, le hangar détérioré doit être réparé pour abriter le Stampe
et deux planeurs, un C-800 et un Castel-301, prêtés par l'Etat. Les
cours techniques reprennent sous la houlette de Coquerel. Enfin,
les vols sont de nouveau possible à partir du 25 octobre 1946 sous
la conduite de Louis Dusanter et d'un moniteur adjoint. N'ayant pu
voler durant les quatre années de l'Occupation allemande, Dusanter
s'est réentrainé à l'Aéro-Club de Beauvais. Ancelin et ses aides
veillent toujours sur la mécanique. De nouveaux pilotes (Bancquart,
Desseaux, Dumoulin, Santin et Beaufrère) peuvent poursuivre leur
entraînement sur le terrain d'Estrées. Pour peu de temps encore.
L'année suivante, l'Aé.C. se transporte à Margny sur un terrain
proche de la ferme de Corbeau lieu où le 27 juillet 1947 un meeting
d'aviation remporte un grand succès. Plus proche de Compiègne et
plus rapide d'accès, bénéficiant des installations construites par
l'armée de l'air amen came, notamment une tour de contrôle, c'est
ce terrain qu'occupe encore aujourd'hui l'Aéro-Club de
l'Oise.
Avec la disparition du
terrain d'Estrées-Saint-Denis, finissent les années pionnières de
l'aviation de tourisme. Durant ces années trente qui se termineront
si tragiquement, des hommes (et quelques femmes) ont su promouvoir
un nouveau moyen de découvrir le monde. Aujourd'hui, nous prenons
l'avion comme un autobus pour nous rendre à n'importe quel point de
la terre. Comme il nous semble loin le temps où le baron de
Foucaucourt écrivait revenant de ses tours d'Europe et d' Afrique,
en prélude au récit de ses aventures, parlant de son avion de
tourisme baptisé Phi-Phi: «Dans quelques minutes il prendra son
essor vers les pays scandinaves et baltes où il mettra le cap sur
l'Afrique du Sud, passant en quelques jours d'un froid de 10 degrés
à une chaleur de 50 degrés; il se posera en cent mètres sur des
aérodromes parfois exigus; dans l'air libre il parcourra 240
kilomètres en une heure, et s'il le faut, il saura voler neuf
heures sans arrêt. Les roues de Phi-Phi viennent de quitter le sol;
l'aventure commence... » Il y a moins de 60 ans!