La route nationale 32
voit passer chaque jour des milliers d’usagers venus de tout
le Noyonnais et de bien plus loin. Cet été, ces usagers n’ont
pas manqué de remarquer l’ouverture d’un immense
chantier de 5000m² au nord de la zone d’activité de
Noyon-Passel et au sud du Mont Renaud et de la Divette. De nombreux
articles de presse ont tenté d’expliquer ce qui arrivait mais
il est bon de faire un point sur ces recherches maintenant que le
site archéologique a complètement été recouvert.
Des fouilles avant un projet économique
important
La ZAC de Noyon-Passel
s’agrandit à la fois au nord et au sud des bâtiments déjà en
place. De nombreuses entreprises vont s’y installer et
c’est une bonne nouvelle pour le bassin d’emploi
noyonnais. Il faut notamment souligner l’arrivée de
l’entreprise Kohler qui a racheté l’ancien Delafond et
qui construit actuellement une vaste plateforme logistique.
C’est ce qui a motivé la réalisation de fouilles
archéologiques cet été car des vestiges du Moyen Age avaient été
repérés sur cette parcelle. La fouille a été conduite par le
service archéologique de la Ville de Noyon et financée par la
Communauté de Communes du Pays Noyonnais. Une équipe de 5 puis de 6
fouilleurs a travaillé pendant 2 mois et demi, en dépit des
innombrables intempéries de cet été capricieux, pour mettre au jour
une occupation rurale qui a perduré du Haut Moyen Age (VIe siècle
environ) à la fin du XVe siècle.
L’archéologie médiévale en milieu
rural : petite explication Les sites ruraux du Moyen
Age : une empreinte en négatif de la réalité passée Les sites
archéologiques de cette époques ne sont pas faciles à comprendre
pour le public : pas de mur en pierre, pas de mosaïque ni de
trésor. Les installations rurales du Moyen Age sont faites en
matériaux périssables, notamment en bois et torchis et ont
totalement disparu, ne laissant que des empreintes en négatif. Ce
sont d’abord des trous de poteaux qui permettaient de caler
les poteaux en bois des maisons, des ateliers ou des greniers.
Parfois on trouve des traces de terre brûlée qui atteste la
présence d’un foyer. Ce sont aussi des fossés comblés,
souvent curés au cours du temps, donc agrandis et modifiés, qui
permettaient de délimiter des enclos ou de drainer le terrain,
parfois accompagnés d’une palissade et d’un talus. Ce
sont enfin des fosses de nature diverse : fosses
d’extraction de limon ou d’argile, puits, fosses
artisanales pour la macération, fosses de conservation des denrées
(silos ou celliers), caves, fours pour le pain, la céramique ou les
métaux et bien sûr des sépultures avec leur squelette etc.
Comprendre le site grâce aux structures et au
mobilier Tous ces négatifs ont été rebouchés à leur abandon,
parfois lentement, par accumulation de la terre, parfois plus
rapidement par l’action des hommes. Mais ils servent presque
toujours de dépotoir à leur abandon et sont donc aussi remplis
d’objets (appelés par les archéologues
« mobilier »). Ce sont donc les poubelles
médiévales : tessons (morceaux) de céramique, os, graines,
objets de métal, de cuir ou de bois divers. C’est avec ces
derniers et grâce à la forme des « trous » que les
archéologues tentent de comprendre quelle était la fonction de
chaque structure permettant ainsi de comprendre quelles activités
les hommes pratiquaient : activité agricole (quelles plantes
cultivait-on ?), activités artisanales (fabrication de
céramique, forge, tannerie etc.) ou domestiques (cuisson du pain,
tissage). On peut en outre réussir à dater ces structures :
une fosse creusée à la fin du XIe siècle et abandonnée au XIIe
siècle sera remplie de mobilier du XIIe siècle que nous savons
reconnaître.
Le site de Passel : une installation
rurale au Moyen Age (VIe-XVe s.)
A Passel, nous avons mis au jour des fossés, des
trous de poteaux (donc d’anciens bâtiments en bois et
torchis), des fosses, des silos, un puits, un mur et un squelette.
Le mobilier et les structures nous indiquent que l’occupation
était sans doute de nature exclusivement agricole. Aucune trace
d’artisanat n’a été trouvée. Il s’agissait
d’une petite installation humaine s’étendant du début
du Moyen Age (époque mérovingienne sans doute, VIe siècle) à la fin
du Moyen Age (XVe siècle). Nous avons découpé l’histoire du
site en 5 phases pour comprendre ce qui s’est passé. On
remarque que le site se déplace au cours du temps : il va de
plus en plus vers le sud comme si la partie nord était de moins en
moins habitable, sans doute à cause de la présence de la Divette
qui rend peu à peu le terrain marécageux. D’ailleurs, après
le XVe siècle, le site est abandonné et se réduit à des marais ou
des pâtures.
Phase 1 : fréquentation aux époques mérovingienne et
carolingienne (VIe-Xe)
A cette époque il n’y a pas
d’installation durable sur le site. Les hommes n’y
habitent pas et n’y pratiquent que peu d’activités. Ils
viennent surtout sur les lieux pour utiliser un ancien chenal de la
Divette : ils ont aménagé le rivage pour permettre à leurs
animaux et à eux-mêmes d’aborder l’eau. Pas de ponton
ni de quai, mais juste des pierres qui assainissent les abords.
C’est peut-être à cette époque qu’est enterrée la
personne dont nous avons retrouvé le squelette. Il a hélas été
recoupé au XIe siècle par un fossé et il manque donc le crâne et le
haut du torse. Il était correctement enterré, la tête à
l’ouest comme un chrétien et allongé sur le dos. Les études à
venir nous apprendront peut-être le sexe, l’âge et la raison
de la mort de cette personne isolée. Il n’était accompagné
d’aucun objet, ce qui nous indique qu’il ne vivait sans
doute pas à l’époque mérovingienne (Ve-VIIe s.).
Phase 2 : une installation pérenne
(Xe-XIe)
A partir du Xe siècle, les hommes
s’installent de manière définitive. Les espaces sont
structurés par deux enclos : l’un circulaire,
l’autre rectangulaire avec des entrées aux coins. Les fossés
servent de limite parcellaire et de drainage. Ils sont associés à
des bâtiments en bois et torchis mais on ne connaît pas bien la
fonction de chacun. De larges fosses d’où on a extrait argile
et limon ont aussi été mises au jour. A leur abandon, elles ont été
remplies par de grandes quantités de torchis et de terre
« rubéfiés » (brûlés, rouges et noires) sans que
l’on ne sache pourquoi ni d’où venait cette terre car
il n’y a pas de trace d’incendie sur le site. La
céramique trouvée pour cette période montre qu’elle est
d’origine locale. Les hommes de cette époque étaient sans
doute des agriculteurs, mais on ne sait pas s’ils
pratiquaient d’autres activités.
Phase 3 : des fosses des XIIe-XIIIe
siècles avec des matériaux organiques très bien
conservés
En attendant les études plus précises, nous ne
pouvons pas encore savoir à quoi ressemblait l’occupation de
cette époque mais plusieurs fosses datent de cette phase. Les trois
plus importantes sont un puits, une fosse profonde et circulaire et
une fosse plus évasée. Le puits a été interprété comme tel car on a
retrouvé des structures similaires sur d’autres sites. Il
n’était pas parementé de pierres mais de
« clayonnage », c’est-à-dire de bois tressé
(probablement du noisetier) qui permettait d’éviter au bord
de s’effondrer. Une partie de ce clayonnage était encore
conservé grâce au fait qu’il est resté dans l’eau
depuis le Moyen Age : l’eau permet au bois de se
conserver en l’imprégnant ; il ne sèche pas et dans un
milieu aquatique, le processus de pourrissement du bois ne peut pas
avoir lieu. Le remplissage du puits, après son abandon, témoigne
qu’il a servi de dépotoir : on y retrouve de la
céramique, des os, des graines et des noyaux. Des spécialistes vont
analyser ces ordures ménagères médiévales afin de savoir ce que les
hommes cultivaient et mangeaient à cette époque et afin de
connaître le paysage dans lequel ils évoluaient. Nous procéderont
de la même manière pour les 2 autres fosses : l’une est
peut-être une latrine (des toilettes) et l’autre une fosse
qui servait à conserver des denrées alimentaires. Cette dernière
est aussi munie d’un clayonnage, mais cette fois-ci il semble
que les pieux soient en chêne et leur état de conservation est
remarquable. Pour les archéologues tout ce bois représente un
véritable trésor parce qu’il est très rare d’en
retrouver autant et dans un aussi bon état. La céramique de ces
trois fosses a parfois été découverte en entier et on a pu observer
qu’elle provenait en partie d’un atelier de potiers de
Pont-l’Evêque fouillé il y a quelques années par le service
archéologique de Noyon. Il s’agit essentiellement de grandes
cruches et de « oules » : des grands pots
globulaires destinés à conserver et à cuire les aliments,
l’ancêtre de nos boîte de conserve, tupperware ou de nos
casseroles.
Phase 4 : des fosses mystérieuses (XIIIe-XIVe
s.)
A partir du XIVe siècle, les occupations se
déplacent vers le sud : la partie nord du site est sans doute
devenue inhospitalière car marécageuse. Les structures qui se
rattachent à cette époque sont essentiellement de larges fosses peu
profondes et très évasées qui font penser à de grands baquets. Pour
le moment nous ne savons pas s’il s’agissait de fosses
de stockage ou de fosses artisanales. A cette époque, la céramique
est plus variée et certaines sont « glaçurées » :
elles sont couvertes d’un vernis, souvent de couleur verte,
qui permet de les rendre étanches.
Phase 5 : une ferme isolée (XIVe-XVe
s.) ?
Le site est maintenant confiné au sud-ouest, proche
de la route. Il ne reste que quelques structures. Tout
d’abord un grand silo entouré de 6 poteaux qui devaient
soutenir un bâtiment ou au moins un toit pour abriter le silo. On
ne sait pas quelles céréales ou autres denrées y étaient gardées,
mais ce silo a lui aussi servi de poubelle une fois abandonné et
outre des pots de céramiques, on y a retrouvé des objets en métal
dont une lame de couteau. De la même époque, datent quelques murs
très fragmentés et un drain, tous construits en gros blocs de
calcaire local bien équarris. Associé à ces éléments, de nombreuses
tuiles plates ont été mises au jour. C’en est donc fini des
bâtiments en bois et torchis : à la fin du Moyen Age, les
constructions en pierre et en tuile les ont remplacés. Mais il
semble qu’il n’y ai qu’un seul bâtiment isolé
juste avant l’abandon total du site au XVIe siècle.
Ce site intéresse ainsi beaucoup les archéologues
parce que les installations rurales du Moyen Age sont souvent mal
connues par rapport aux villes et aux abbayes. En outre, il
s’agit d’un site occupé pendant tout le Moyen Age et
dont les terres appartenaient très certainement à la Chartreuse du
Mont Renaud. Il faut maintenant attendre les résultats de toutes
les études pour définir avec plus de précision la nature et la
fonction des fosses, la nature des activités humaines à chaque
époque et le type d’environnement qui y était associé. Ce
sont les études de la céramique (céramologie), des métaux, des
graines (carpologie), des pollens (palynologie), des os (zoologie),
des arêtes de poisson (ichtyologie), des bois (xylologie) et des
sédiments (sédimentologie). En effet, les recherches archéologiques
ne se terminent pas avec la fin du chantier, mais se poursuivent
pour de longs mois dans les laboratoires et les bureaux.