Godmanchester :
Deux
siècles de relations biophysiques et anthropiques
English version follows
La relation entre les communautés végétales,
les facteurs géophysiques, et l’occupation humaine de cette
région ont été étudiés depuis plus de 25 ans par une équipe de
chercheurs de l’Institut de recherche en
biologie végétale (Université de Montréal) (voir
bibliographie). C’est devenu un
important laboratoire en écologie du
paysage à cause de son emplacement géographique et de son
histoire géologique et humaine. La région est demeurée presque
inoccupée jusqu’à la fin du 18e siècle, permettant
ainsi aux chercheurs de tenter de reconstituer ce qu’était la
végétation précoloniale, et de relier la végétation actuelle à
l’histoire géologique et humaine de la région. Deux siècles
de déforestation, pâturage, et drainage des terres humides ont créé
une mosaïque de végétation complexe. Aujourd’hui, la plaine
argileuse est utilisée par l’agriculture, alors qu’une
forêt secondaire fragmentée occupe la moraine. Mais il
n’en a pas toujours été ainsi. Comment cela s’est-il
passé?
Godmanchester est une municipalité rurale du
Haut-Saint-Laurent, dans la partie sud-ouest du Québec. Un énorme
glacier recouvrait jadis cet endroit. L’Inlandsis
Laurentidien a comprimé le
continent et celui-ci s'est enfoncé. Puis le réchauffement du
climat a entraîné la fonte des glaces. Le poids des grands glaciers
était tel qu’après leur départ, le continent est demeuré
enfoncé pendant plusieurs milliers d’années. Les eaux de
l’océan Atlantique ont ainsi pu envahir cette dépression pour
donner naissance à la Mer de
Champlain qui a occupé la vallée du Saint-Laurent entre 12 000
et 9000 environ avant aujourd'hui.
Le retrait du glacier a laissé de nombreux
ilots morainiques et crêtes parallèles au Saint-Laurent. Le chemin
que vous avez pris pour vous rendre ici, appelé « Ridge » à juste titre, repose sur l’une
de ces moraines. Les basses terres ont quant à elles été
recouvertes par les riches dépôts argileux de la Mer de Champlain.
Trois types de dépôts sont donc importants dans la région :
les dépôts morainiques d’origine glaciaire formant des sols
pierreux (till) sur les îlots et crêtes, les dépôts marins qui ont
remplis la matrice entre les îlots, ainsi que deux grands dépôts
organique de tourbe (le Petit et le Grand Teafield). Ces dépôts reposent sur une roche mère
composée de grès de Potsdam ou de dolomie de Beekmantown.
La région appartient au domaine de
l’érablière à caryer, le plus riche au Québec en termes de
biodiversité, de la forêt décidue des Grands-Lacs et du
Saint-Laurent. Les forêts mésiques, à drainage modéré, y sont donc
dominées par l’érable à sucre (Acer saccharum), accompagné du
caryer cordiforme (Carya
cordiformis) et de nombreuses
autres espèces.
Coupe du
paysage typique de la région montrant l’occupation actuelle
du territoire en fonction du dépôt (tiré de Lauzer
2002).
Le paysage agro-forestier actuel de
Godmanchester n’est pas le résultat d’une vision de
développement rural, mais plutôt des types d’occupation et
d’utilisation du territoire, qui sont eux déterminés par le
dépôt en place (voir les figures). Deux types d’occupation du
territoire sont ici importants : l’agriculture et la
forêt. Comme pour le reste de la région, la colonisation de
Godmanchester s’est fait tardivement. Les premiers colons,
des États-Uniens d’origine européenne, sont venus de la
Nouvelle-Angleterre par la rivière Chateauguay. Vers 1795
quelques-uns de ces premiers colons se sont installés sur les
basses terres de ce qui est aujourd’hui Huntingdon. Au début
des années 20, certain de ces pionniers ont quitté la rivière pour
aller plus loin sur la crête morainique. Si bien que le recensement
de 1825 révéla qu’une grande partie des lots du Yankee
Ridge (aujourd’hui le Chemin
Ridge) étaient occupés et utilisés pour
l’agriculture avant que ne soit complétée l’occupation
des lots de la rivière.
En résumé, les premiers colons n’ont pas
occupé la plaine argileuse aujourd’hui utilisée pour
l’agriculture. À cette époque, la plaine était mal drainée et
dominée par des milieux humides et arbustifs. Ils ont investi la
plaine beaucoup plus tard, alors que des réseaux de fossés de
drainage ont été établis. Les dépôts morainiques (till), maintenant
recouverts de forêts, ont d’abord été utilisés pour
l’agriculture. Encore aujourd’hui ont y trouve des
pâturages actifs ou abandonnés récemment. Les forêts denses
qu’on y trouvait autrefois ont d’abord été exploitées.
Et nous avons aujourd’hui les preuves, grâce aux actes de
vente de bois notariées de l’époque, que la composition de
cette forêt était différente des forêts secondaires qui ont
repoussées sur les moraines depuis. De cette forêt précoloniale il
ne reste qu’un seul petit témoin protégé; la réserve
écologique de Muir. Cette forêt est
aussi dominée par l’érable à sucre, mais avec une forte
codominance du hêtre (Fagus
grandifolia) et de la pruche (Tsuga canadensis), deux espèces beaucoup moins
communes dans l’érablière à caryer, aujourd’hui
considérée comme étant associée aux perturbations humaines.
Pour enregistrer votre découverte, envoyez un
courriel au propriétaire avec les réponses aux quatre questions
suivantes:
- Les coordonnées ci-haut sont
approximatives. Quelles sont les coordonnées exactes, sur le chemin
Carr Front, où l’affectation du territoire change
drastiquement (au nord-est des coordonnées ci-haut)?
- Nommez les deux occupations du
territoire se trouvant de part et d’autre de ce nouveau
point
- Expliquez, à l’aide de ce qui
précède (ou d’une pelle!), le type et l’origine du
dépôt (sol) sur lesquels elles reposent
- Qui occupait ce territoire bien avant
les Européens? Reprenez votre vélo, poussette ou auto, et roulez un
peu plus de 3km vers le nord-ouest sur la Montée Carr (devient la
Montée Cooper) pour trouver la réponse. Une belle visite vous y
attend, et qui sait, peut-être même une cache!
Veuillez attendre la confirmation avant
d’enregistrer votre visite; assurez-vous que je puisse vous
rejoindre en m'écrivant directement ou en cochant l'option
appropriée pour joindre votre adresse courriel à votre réponse.
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Godmanchester :
Two
hundred years of relationships between biophysical and human
factors
The relationships
between vegetation communities, geophysical determinants, and human
occupancy in this region have been studied for over 25 years by a
team of researchers from the Institut de recherche
en biologie végétale (Université de Montréal) (short bibliography below). It has become an
important laboratory in landscape
ecology because of its geographical location and geological and
human history. The region remained nearly uninhabited until the end
of the 18th century, thus allowing researchers to
attempt the reconstitution of the pre-colonial vegetation, and to
relate present day vegetation to geological and human history.
Nearly two hundred years of severe deforestation, cattle grazing,
and drainage of wetlands have resulted in a complex vegetation
mosaic. Today, the clay plains are used for agriculture, and the
moraine deposits
are colonized by fragmented secondary forests. But it wasn’t
always like that, so how did this happen?
Godmanchester is a rural
municipality located in the Haut-Saint-Laurent, in the southernmost
part of the province of Québec, Canada. An enormous glacier covered
this region a long time ago. The weight of the Laurentian Ice Sheet caused the surface of the crust
to deform and warp downward. When the climate got warmer and the
glaciers melted, the weight of all this ice was such that the
continent remained depressed for several thousand years. Sea water
from the Atlantic Ocean could thus penetrate and fill this
depression, creating what was later named the Champlain Sea. It occupied the St. Lawrence valley
from about 12 000 to 9000 years ago.
Glacial recession left
numerous moraine islets and ridges lying parallel to the St.
Lawrence River. The road on which you came, appropriately called
“Ridge”, runs along one such moraine. Lowlands were
themselves filled and covered with the nutrient-rich marine clay
deposits of the post-glacial Champlain Sea. Three broad types of
deposits are thus important on the territory of Godmanchester: the
morainic deposits, creating stony soils (or till) on islets and ridges,
marine clay deposits filling the matrix between the islets, and two
large biogenic peat deposits (the Small and Large Teafields). All these deposits sit on top of
sedimentary bedrock composed of Potsdam sandstone and Beekmantown
dolomite.
The region belongs to
the sugar maple-hickory zone of the deciduous forest of the Great
Lakes and St. Lawrence River area. Mesic forests, located on
moderately drained soils, are thus generally dominated by sugar
maple (Acer saccharum),
and accompanied by bitternut hickory (Carya
cordiformis) and a cohort of other species, as
this is the richest region of Québec in terms of
biodiversity.
Schematic illustration
of landscape dynamics from the pre-colonial period (1785) to today
(2000) (from Domon and Bouchard 2007).
But the present day
agro-forested landscapes of Godmanchester are not the result of
deliberate landscape policies, but rather of the dominant types of
occupation and land-uses, which are in turn determined by
geomorphological deposits (see Figures). Two types of land-use
stand out as particularly significant: agricultural use and
forests. As is true of the region in general, Godmanchester was
colonized late. The first pioneers were Americans of European
origin, who came from New England via the Chateauguay River. Around
1795, some of these early immigrants settled in scattered locations
on the lowlands near the present-day city of Huntingdon. At the
beginning of the 1820s, some of the early American pioneers began
to venture away from the rivers toward the morainic ridge. In fact,
the census of 1825 revealed that, in the mid-1820s, many of Yankee
Ridge’s (now “Chemin
Ridge”) lots were occupied and used for agricultural
production before all of those bordering the rivers were
settled.
In short, the first
settlers did not occupy and cultivate the clay plains that are now
used for agriculture. Back then, the plains were poorly drained,
and dominated by shrubs and wetlands. The plain was occupied much
later, as networks of drainage ditches were established throughout.
The morainic deposits (till), now covered with forests, were
actually first occupied for agriculture. Active or recently
abandoned pastures are still found there today. The dense forests
they supported were first cleared, and we have proof from notary
deeds of wood sales that the pre-colonial species composition of
the forest was somewhat different than that of the present day
secondary forest growing on the moraines. Of that original forest,
only one example remains, and is now protected as the Muir
ecological reserve. It is also dominated by maple, but with a
co-dominance of beech (Fagus
grandifolia) and hemlock (Tsuga canadensis), both of which are much less
represented in the maple-hickory stands which we now consider to be
the result of human disturbance.
To log your discovery,
email the owner with answers to the following four
questions:
- The coordinates above
are approximate. Standing on Carr Front road, what are the exact
coordinates at which land-use changes drastically (to the
north-east of the given coordinates)?
- Name the two land-uses
found on either side of that location
- Explain, using the
above (or a shovel!), the type and origin of the deposit (soil) on
which they sit
- Who occupied this
territory long before the Europeans? Go back to your bike, stroller
or car, and go up 3km to the north-west along Montée Carr (which becomes Montée Cooper) to find the answer and a nice way to
end your trip in Québec’s south (who knows, maybe
there’s even a cache there!).
Please wait for the
owner’s approval before logging your visit, and make sure I
can reach you by emailing me directly or checking the option to
send your email address along with your answer
Alain Paquette Ph.D.
Chercheur postdoctoral au Centre d’étude
de la forêt (CEF)
en écologie forestière
Postdoctoral researcher
in forest ecology at the Center for Forest Research (CFR)
Courte bibliographie/ Short
bibliography
Bouchard, A. et G.
Domon. 1997. The
transformations of the natural landscapes of the Haut-Saint-Laurent
(Québec) and their implications on future resource management.
Landscape and Urban Planning 37: 99-107.
Brisson, J. et A.
Bouchard. 2003. In the past two centuries, human activities
have caused major changes in the tree species composition of
southern Québec, Canada. Écoscience
10(2): 236-246.
Domon, G. et A. Bouchard. 2007. The landscape
history of Godmanchester (Quebec, Canada): two centuries of
shifting relationships between anthropic and biophysical factors.
Landscape Ecology 22(8): 1201-1214.
Lauzer, D. 2002. Forêts du sud du Québec; L'Erreur
australe? Quatre-Temps 26(1):
10-12.