Dans la nuit des temps, il y a longtemps, très longtemps, les couleurs n’existaient pas. Rien n’était vert et presque tout était triste. C’est ce qu’on a appelé la période noire du monde. Chaque matin, un magicien qui vivait en ce temps-là mettait la tête à la fenêtre pour contempler le paysage.
    « Il me semble qu’il manque quelque chose à ce monde », dit-il un jour. « On ne peut pas distinguer quand la pluie cesse de tomber, et quand le soleil se met à briller… »
    Le magicien descendait souvent l’escalier de sa cave sombre. Là , pour oublier ce monde maussade, il s’amusait à faire des expériences magiques. Un jour que le magicien mélangeait et malaxait un peu de ceci et un rien de cela, il découvrit quelque chose de bizarre au fond de sa marmite.
    « C’est bien joli ! » s’écria-t-il. « Je vais en faire davantage. »
    « Qu’est-ce que c’est ? » demandèrent les voisins en voyant le magicien peindre sa maison.
    « Une couleur », dit le magicien. « J’appelle ça du jaune », dit le magicien.
    « Peut-on en avoir un peu ? » quémandèrent les voisins.
    « Bien sûr ! » répondit le magicien.
     Et c’est ainsi que fut lancĂ©e la mode de cette couleur. BientĂ´t plus rien ne fut noir !Tout devint de la couleur du soleil. La rivière, la mer comme le ciel, les cochons et les Ă©cureuils aussi. Â
Les perruques étaient comme les feuilles des arbres ; Papa, Maman, Petit Pierre et son chien avaient tous le même teint. Chez l’arracheur de dents, on riait de cette couleur. Le magicien galopait sur son cheval pour explorer son univers jauni.  Il disait : « C’est très réussi ! »
    Mais, toute cette couleur, ce n’était pas très réussi. Après un certain temps, tout le monde était ébloui. On vivait les yeux fermés, les volets clos. On se cognait partout, dans les rues, sur les routes. Les oiseaux n’osaient plus voler.
    « Tout ceci est trop lumineux et trop aveuglant », dirent les voisins au magicien.
    « Ne m’en parlez pas », gémissait le magicien, qui portait une serviette humide sur le front, « tout le monde en a mal à la tête et moi aussi. »
    Le magicien descendit donc en trébuchant l’escalier de sa cave qui était restée noire. Alors, il se mit à mélanger et à malaxer un peu de ceci et un rien de cela, et il découvrit bientôt quelque chose de nouveau au fond de sa marmite
    « Voilà qui est plus gai ! » s’écria-t-il. « Je vais en faire davantage. »
    « Qu’est-ce que c’est ? » demandèrent les voisins en voyant le magicien peindre sa palissade.
    « J’ai appelé cela du bleu. »
    « Je vous en prie », crièrent les voisins, « donnez-nous-en un peu ! »
    « Volontiers ! » répondit le magicien.
     Et c’est ainsi que fut lancée la mode de cette couleur. Bientôt tout fut de la couleur azur dans un monde heureux. Les arbres, les vaches, les coccinelles aussi. Le magicien chevauchait une bicyclette bleue pour contempler son univers en bleu.
    Il disait : « C’est merveilleux ! »
    Mais, toute cette couleur, ce n’était pas merveilleux. Après un certain temps, tout le monde fut attristé. Les enfants ne jouaient plus, les coqs ne chantaient plus, les saules pleuraient, le troubadour poussait des complaintes déchirantes.
    « Ce monde est trop déprimant », dirent les voisins au magicien qui était devenu le plus malheureux des hommes.
    « Personne ne rit plus, c’est vrai. Je ne sais même plus sourire. »
    « Il faut que je fasse quelque chose », se dit le magicien en descendant lourdement l’escalier de sa cave sombre, aux reflets mauve.
Alors, il se mit à mélanger et à malaxer un peu de ceci et un rien de cela, et il découvrit bientôt quelque chose de nouveau au fond de sa marmite.
Mais avant de montrer sa découverte aux voisins, il alla dans la cuisine pour terminer le canard à l’orange que sa tante lui avait préparé.
Ensuite, il retourna dans sa cave et se remit à mélanger.
    « C’est magnifique ! » s’écria-t-il. « Je vais en faire davantage. »
    « Comment appelez-vous ça ? » demandèrent les voisins en voyant le magicien peindre les fleurs de son jardin
    « On en voudrait bien aussi », implorèrent les voisins.
    « Tout de suite ! » dit le magicien.
     Et c’est ainsi que fut lancée la mode du rouge. Bientôt tout fut écarlate dans le monde. La rivière, comme le ciel, le lapin, comme les canaris, le fromage et les glaces, les gâteaux, les chapeaux, les manteaux et l’écureuil l’était tout autant que les poissons. Le magicien canotait dans son bateau. Il disait : « C’est l’idéal ! »
    Mais, toute cette couleur, ce n’était pas l’idéal. Après un certain temps, petits et grands voyaient tout couleur sang et cela leur montait à la tête et, comme chacun sait, la colère est mauvaise conseillère. Les petits devenaient méchants. Ils se tiraient les cheveux ou se cassaient les dents. Les grands se faisaient la guerre : ils cassaient la vaisselle ou tiraient le canon. Chez le juge comme à la maison on aurait dit un combat de coqs. Les voisins furieux prirent d’assaut la maison du magicien.
    « Cet horrible monde, c’est vous qui l’avez fait ! »
    Ils lui lancèrent des pierres. Le magicien était en colère. Il descendit furibond l’escalier de sa cave sombre brune.
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Pendant des jours et des jours, il mélangea et malaxa. Il essaya toutes les formules magiques pour trouver une nouvelle couleur. Mais il ne put rien faire, jusqu’au jour où toutes les marmites fussent pleines à ras bords.
    Les marmites étaient si pleines qu’elles débordèrent.
    Les couleurs se mélangèrent.
    Et ce fut un beau gâchis. Mais quand le magicien vit ce qui se passait, il s’écria :
    « J’ai trouvé ! » Et il dansa, fou de joie, dans la cave.
    Le magicien mélangea deux couleurs et il fit une nouvelle couleur.
    « Qu’est-ce que c’est ? » demandèrent les voisins.
    « Du vert… », dit le magicien.
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 Il mélangea le jaune avec toutes les autres couleurs et il fit ainsi plein d’autres couleurs.
        « Regardez les belles choses que je viens d’inventer ! » dit le magicien quand il eut terminé.
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    « On en a la tête qui tourne », crièrent les voisins. « Quelle couleur allons-nous choisir cette fois ? »
    « Il faut les employer toutes un peu à la fois », répondit le magicien.
     Les gens prirent toutes les couleurs que le magicien avait créées. Bientôt chacune d’elles trouva sa place et, après un moment, quand le magicien ouvrit sa fenêtre, il regarda et dit :
     « C’est merveilleusement réussi et idéal ! »
     Les voisins apportèrent au magicien, en cadeau, des pommes, des feuilles, des bananes, du raisin et des fleurs.
     Enfin le monde était bien trop beau pour qu’on ait envie d’y changer quelque chose et le temps du gris était bien loin.
